Vache folle - Devant les mensonges et les malversations : La défiance justifiée des consommateurs15/12/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/12/une-1692.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

Vache folle - Devant les mensonges et les malversations : La défiance justifiée des consommateurs

Les premiers résultats du programme de tests de dépistage de l'ESB, la maladie de la vache folle, qui viennent d'être publiés démontrent, s'il en était besoin, que la sécurité alimentaire est bien loin d'avoir été assurée, alors même que les risques de transmission à l'homme de la maladie étaient connus.

L'étude, commencée en août dernier et dont les premiers résultats portent sur 15 000 cas étudiés dans les départements des trois régions les plus touchées par la maladie, révèle un nombre bien plus important d'animaux contaminés que ce que certains spécialistes supposaient. On atteint le taux de 2,1 pour mille ce qui est assez important si on le rapporte aux quelque 4 à 5 millions de bovins abattus chaque année en France. Or, dans les régions étudiées, seuls onze cas de vaches folles avaient été diagnostiqués pour la même période. Les tests ont permis de trouver trois fois plus d'animaux infectés. On en a trouvé un taux de 1,3 pour mille parmi les animaux morts de mort naturelle, 4,1 pour mille parmi les animaux euthanasiés parce que malades, et surtout trois pour mille parmi les animaux abattus d'urgence dont les autorités se posent maintenant le problème de les interdire à la consommation.

L'épidémie, plus étendue qu'on ne le croyait

Des premières conclusions de cette étude, il ressort que d'une part l'épidémie est beaucoup plus répandue au sein du cheptel qu'on ne le pensait, et d'autre part que manifestement il y a eu des cas non déclarés comme tels, voire même peut-être des cas de dissimulation parmi les animaux dits accidentés et néanmoins envoyés en boucherie. C'était d'ailleurs la conclusion à laquelle était arrivée une commission de contrôle de l'Union européenne qui avait effectué des vérifications en juin 1999. Elle avait constaté que 6 % des aliments pour bétail étaient contaminés par des farines de viande et d'os théoriquement interdits, que les abattoirs ne respectaient pas toujours les réglementations concernant l'état sanitaire des animaux qu'ils traitaient, et que les multiples entorses à la réglementation permettaient d'expliquer qu'il y ait autant de cas d'ESB recensés sur des animaux nés après l'interdiction des farines animales qu'auparavant. A l'époque le ministre de l'Agriculture, Glavany, s'était indigné de ce rapport et avait réaffirmé que la France avait mis en place «le dispositif le plus rigoureux d'Europe».

Ce n'est pourtant ni la transparence ni la sécurité maximum pour les consommateurs qui ont été la préoccupation majeure des gouvernants depuis que les premiers cas d'ESB se sont déclarés en avril 1985 en Angleterre et que, deux ans plus tard, l'hypothèse d'une contamination possible à l'homme ait été avancée. L'attitude des gouvernants a été de tenter de rassurer le consommateur en niant puis en minimisant les risques, afin de ne pas léser les intérêts des capitalistes de l'agro-alimentaire et des gros éleveurs. Les mesures prises le furent peu à peu, avec réticence, pour rassurer le consommateur sans léser les intérêts des entreprises du secteur. Cela avait bien peu à voir avec la protection de la santé publique. Le fameux principe de précaution, dont les responsables se gargarisent d'autant plus qu'ils l'appliquent moins, aurait nécessité une tout autre démarche.

Par exemple les importations de viande bovine et d'abats en provenance d'Angleterre ont doublé entre 1988 et 1995, au moment où les cas d'ESB se multipliaient dans ce pays, parce que la viande anglaise était alors moins chère, et pour cause!

Tergiversations gouvernementales

Quant aux farines animales, il a fallu attendre 1991 pour qu'elles soient interdites dans l'alimentation des bovins en France, alors qu'elles restaient autorisées jusqu'en 1994 pour l'alimentation des ovins et caprins sans autre forme de précaution, et jusqu'à cette année pour l'alimentation des porcs et des poulets ; cette autorisation a été assortie depuis 1998 d'une obligation d'un nouveau traitement physico-chimique des farines censé détruire les prions pathogènes, qui n'a pas été toujours respectée.

Et si aujourd'hui le gouvernement s'est décidé à interdire totalement l'utilisation de farines animales pour nourrir d'autres animaux, c'est bien parce que les consommateurs ont montré, en refusant d'acheter de la viande bovine, qu'ils n'avaient plus confiance. Son souci est de rétablir la confiance et de faire remonter les ventes qui ont chuté de quelque 50 %, et de faire ce qu'il peut pour sauver les profits de la filière bovine, plus que de faire ce qu'il faut pour assurer la sécurité des personnes. Mais c'est il y a plus de dix ans que cette interdiction aurait dû être prise pour éviter toute possibilité d'erreur ou de malversation.

De même, ce n'est que très progressivement que certaines parties de l'animal ont été interdites à la consommation, en prétendant que les autres étaient sans danger. Après que les premiers cas de la maladie humaine se furent déclarés en Angleterre, le gouvernement français a peu à peu constitué, entre avril 1996 et novembre 1997, la liste des abats qui devaient être détruits et non consommés : crâne, moelle épinière, amygdales des bovins, et la rate, le thymus, les intestins des ovins et des caprins, tout cela variant en fonction de la date de naissance des animaux, avant ou après l'interdiction des farines. Cette année la discussion sur l'interdiction d'utiliser des intestins de bovins dans l'alimentation humaine, qui était recommandée par les scientifiques, a porté sur le nombre de mètres d'intestin qui seraient concernés : le mètre et demi le plus à risque ou les quelque 35 mètres du total ? Une discussion qui illustre bien la façon dont est conçue l'application du fameux principe de précaution.

D'autant que, jusqu'à cette année, le gouvernement n'avait pas songé à interdire dans les abattoirs la pratique dite du «jonchage», à laquelle environ la moitié des animaux abattus sont soumis et qui consiste à détruire une partie du système nerveux central des animaux d'une façon qui multiplie les risques de souiller d'autres parties de l'animal avec des matières nerveuses interdites à la consommation.

On ne sait encore quelle partie du corps de l'animal aujourd'hui déclarée sans risque sera interdite à la consommation dans l'avenir.

Quant à la fameuse traçabilité qui serait une garantie pour le consommateur, elle ne peut être réalisée que pour une infime partie de la production.

Le gouvernement a cru un temps protéger les intérêts de la filière bovine, des entreprises de l'agro-alimentaire, y compris des fabricants de farines, en dissimulant les risques et en ne prenant que des demi-mesures. Aujourd'hui que les consommateurs se sont manifestés efficacement en faisant chuter dramatiquement le chiffre d'affaires de tout un secteur économique, le gouvernement n'a plus qu'à faire payer les contribuables pour dédommager les fabricants de farines comme les plus grosses entreprises du secteur!

Si son objectif reste de rassurer l'opinion afin de faire remonter les ventes, ce n'est pas plus aujourd'hui qu'hier de mettre en oeuvre les moyens adéquats pour assurer une véritable sécurité alimentaire à la population.

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