Présomption d’innocence : Des discours sans fonds15/12/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/12/une-1692.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

Présomption d’innocence : Des discours sans fonds

La ministre de la Justice, Marylise Lebranchu, avouant un manque de moyens, propose de reporter à plus tard des améliorations que la loi sur la présomption d'innocence, votée définitivement en avril dernier, était censée apporter aux détenus.

Au nom des grands principes, députés et sénateurs ont le droit de discuter à perte de vue de la présomption d'innocence et des droits des condamnés. Seulement, quand il s'agit de voter le budget de la Justice, comme cela vient de se produire, il n'en est plus question. Il a fallu que les greffiers se mettent en grève pour rappeler au gouvernement que, dans ce domaine aussi, il faut des travailleurs pour faire fonctionner la machine.

Les greffiers ne sont pas assez nombreux. Et quand des condamnés contesteront devant un tribunal les décisions qui sont prises à leur égard par un juge d'application des peines, comme le prévoit la loi votée en juin dernier, eh bien cela conduira à du travail en plus, et donc le sous-effectif devient intolérable. Grâce à leur grève, les greffiers ont obtenu, semble-t-il, la création de 500 postes, au lieu des 260 prévus initialement pour 2001. Mais ce n'est encore qu'une promesse. Dans l'immédiat, le gouvernement se déclare incompétent pour appliquer la totalité de la réforme prévue. «Il s'agit d'aménager le texte sans créer, chez les détenus, l'impression que lorsqu'il y a une difficulté, ce sont eux qui passent en dernier», a déclaré la ministre. Comme si elle craignait qu'après le mécontentement parmi le personnel de Justice, la révolte ne gronde de l'autre côté des barreaux. Et cela n'empêche pas la représentante du gouvernement de se gargariser d'une réforme qui constituerait, selon elle, rien moins qu'une «grande loi pour les libertés et les droits de l'homme».

Autre mesure prévue dans la loi de juin dernier, la présence d'un avocat dès la première heure de la garde à vue. Sur ce point, il n'y a pas de problème, prétend la ministre : la réforme est applicable comme prévu au 1er janvier prochain. Mais les avocats qui choisissent ou acceptent d'avoir comme clients des gens démunis financièrement sont visiblement d'un autre avis. Cela fait des années qu'ils se plaignent de ne pas pouvoir couvrir les frais qu'entraînent les obligations liées à la défense des justiciables, et des semaines qu'ils revendiquent par des grèves et des manifestations. Assister les gens en garde à vue leur donnera du travail supplémentaire, sans qu'une rémunération normale ait été prévue quand leurs clients, trop pauvres pour payer, bénéficient de l'aide juridictionnelle.

Pourtant, le gouvernement a eu tout son temps pour se préparer à l'application des mesures qu'il a lui-même proposées. Une loi votée en janvier 1993 institue le contact avec un avocat, mais elle ne s'applique qu'à partir de la vingtième heure de garde à vue : le ministre socialiste de l'époque, Michel Vauzelle, avait fait traîner les choses, ce qui permit à son successeur de droite, Pierre Méhaignerie, de supprimer la présence de l'avocat au début de la garde à vue avant même que cette possibilité ait reçu un début d'application. Bref, cela restait un «débat».

Le nouveau projet de loi qui a finalement abouti à un vote favorable en juin dernier avait été présenté au conseil des ministres le 16 septembre 1998. Et en deux ans, le gouvernement et ses hauts fonctionnaires n'ont pas eu le temps de prévoir!

Alors, le mépris de ces gens-là à l'égard des prisonniers, des travailleurs qui font tourner la justice ou encore des avocats qui acceptent de défendre les personnes désargentées, va-t-il continuer à peser le plus fort sur la balance de la justice.

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