L'éditorial d'Arlette LAGUILLER : Dis-moi qui tu finances, je te dirai qui tu es15/12/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/12/une-1692.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Editorial

L'éditorial d'Arlette LAGUILLER : Dis-moi qui tu finances, je te dirai qui tu es

(Editorial des bulletins d'entreprise du 11 décembre)

Cette année, le Téléthon, cette manifestation organisée au profit de la recherche scientifique concernant les maladies génétiques, a battu tous ses records, avec plus de 501 millions de dons. C'est en un sens réconfortant, car à une époque où la vertu principale serait le profit individuel, cela prouve qu'une grande partie de la population répond présent quand elle est sollicitée, et pense faire oeuvre utile pour l'ensemble de la société.

Mais comment ne pas rapprocher ce chiffre des vingt milliards qui ont été dépensés pour la construction du Charles-de-Gaulle, ce super porte-avions nucléaire qui depuis sa naissance passe le plus clair de son temps dans les chantiers de réparation, pour rajouter quelques mètres à une piste d'atterrissage mal calculée, ou pour remplacer une hélice qui s'est brisée dès les premiers essais ?

On nous dira que le Charles-de-Gaulle était indispensable à la «défense nationale» et que cela justifie ces dépenses exorbitantes. Mais si cela était vrai, comment alors qualifier le comportement de ceux (responsables de la marine ou du gouvernement) qui ont accepté en connaissance de cause (car il semble bien que c'est ainsi que les choses se sont passées) qu'on installe sur cet engin une hélice dont on savait qu'elle avait été ratée à la fabrication ? Car décidément, tous ces gens qui demandent des sacrifices à la population, au nom de la «défense nationale», ne s'en préoccupent guère quand les intérêts économiques des industriels et des banquiers sont en jeu.

Et puis, «défense nationale» contre qui ? Avec son Charles-de-Gaulle, unique porte-avions nucléaire qu'il faudra bien retirer périodiquement de la circulation pour raisons d'entretien... ou lors de la prochaine avarie, la France serait bien incapable de rivaliser avec les plus grandes flottes du monde en cas de conflit. Mais les ambitions de nos gouvernants et des stratèges de l'armée française sont ailleurs. Le rôle du Charles-de-Gaulle, comme ce fut le cas pour ses prédécesseurs, n'est pas de défendre le pays contre un hypothétique adversaire. Il est de constituer une base flottante permettant à l'armée française d'intervenir plus facilement dans les chasses gardées que constituent les anciennes colonies africaines, ou contre les petits pays qui voudraient remettre en cause l'ordre impérialiste. Ce fut le cas en Irak ou au Kosovo. La «défense des droits de l'homme» n'étant invoquée que pour camoufler les raisons réelles de ces opérations.

Les récentes révélations sur l'emploi généralisé de la torture en Algérie entre 1954 et 1962, avec la complicité des pouvoirs civils (de «gauche» entre 1956 et 1958, de droite le reste du temps) et des grands chefs de l'armée, montrent quelles abominations on a pu perpétrer au nom de la «défense nationale».

Aujourd'hui comme hier, les hommes qui nous gouvernent font passer les dépenses militaires en priorité, parce que l'armée est pour la bourgeoisie l'ultime recours sur lequel elle pourrait s'appuyer en cas de crise sociale. Pour financer la recherche sur les maladies génétiques, qui permettra sans doute un jour d'offrir à des milliers de malades une vie normale, le gouvernement est incapable de dégager les 500 millions que le Téléthon a fournis, et préfère s'en remettre à la générosité du public. Mais pour protéger les intérêts économiques de gens qui sont déjà riches à milliards, il a su trouver quarante fois plus.

En leur temps, les dirigeants nazis expliquaient au peuple allemand qu'il fallait choisir entre le beurre et les canons. Nos dirigeants ne tiennent pas de tels propos. Mais dans les faits, entre la recherche médicale et l'armement, ils ont choisi pour nous depuis longtemps.

Et si le gouvernement veut prouver le contraire, qu'il dégage donc vingt milliards pour la recherche médicale, et qu'il fasse appel à la charité publique pour faire naviguer le Charles-de-Gaulle!

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