Lire : Allah n’est pas obligé (d’Ahmadou Kourouma)08/12/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/12/une-1691.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Divers

Lire : Allah n’est pas obligé (d’Ahmadou Kourouma)

(Allah n'est pas obligé» d'Ahmadou Kourouma, 233 pages, Editions du Seuil, 120 F.)

Ce roman, qui vient de recevoir le prix Renaudot ainsi que le prix Goncourt des lycéens, est un voyage dans l'horreur des guerres qui ravagent le Liberia et la Sierra Leone, en Afrique de l'Ouest.

Le personnage est un garçon de 10 ou 12 ans, Biharima, qui, devenu orphelin, cherche à rejoindre une tante à travers la région. Il vit des «aventures» horribles, tout comme les multiples autres enfants qui, pour manger et survivre, deviennent soldats et bandits, ont en guise de jouets des kalachnikovs, participent aux tueries et aux pillages.

Ahmadou Kourouma fait raconter par Biharima, sur un ton crûment réaliste, d'une manière qu'il croit être celle d'un caïd - avec des «gros mots» comme il dit - son périple à travers les zones tour à tour dominées par les différentes factions qui s'entretuent et massacrent les populations.

C'est une lecture saisissante. Il ne s'agit pas tant d'une étude psychologique ou d'une peinture sociale que d'une dénonciation à l'emporte-pièce.

Les enfants-soldats ne sont pas payés. Alors ils font partie des bandes qui vivent sur le pays, se payent sur l'habitant. Ces bandes se disputent les droits de douane, rackettent et rançonnent, pillent, violent, torturent et tuent, tout en protégeant les possédants des différents commerces et autres exploitations d'or, diamants, caoutchouc, café, huile de palme. Car ce sont ces derniers, possédants, marchands et trafiquants, qui leur assurent des ressources régulières. Dans un court passage, l'auteur évoque d'ailleurs les travailleurs des mines d'or ou de diamants, objets des convoitises des bandes armées et de leurs commanditaires.

Biharima conte plus souvent l'histoire brève, cruelle et sanglante de ses compagnons, tous enfants de la rue devenus sous la pression de la misère et de la peur enfants-soldats, bourreaux, avant de mourir bien souvent victimes à leur tour. La vie de ces enfants est un mélange de cruautés, d'obscurantisme religieux, de superstitions, sur fond de misère et de massacres. La déshumanisation est générale, mais celle des enfants serre encore plus le coeur.

D'une façon à la fois imagée et détachée, parfois dans le style des contes africains, les pires horreurs sont racontées d'un ton presque candide, sans émotion exprimée, et la dénonciation est d'autant plus impressionnante.

Le récit s'accompagne de quelques passages explicatifs sur les guerres et les différents chefs de guerre qui ont déchiré et déchirent la Sierra Leone comme le Liberia, sur le rôle des différents chefs d'Etat de la région, mais il donne la place la plus importante à la vie des enfants-soldats. Il est d'un abord beaucoup plus facile que le précédent roman de Kourouma (En attendant le vote des bêtes sauvages), qui a pu rebuter certains lecteurs.

D'autant que le style est haut en couleurs, et que le désespoir s'accompagne constamment d'un humour qui a quelque chose de tonique, comme dans certains pamphlets, même si cet humour est forcément amer. Car après tout, conclut régulièrement Biharima avec sa forme de philosophie, «Allah n'est pas obligé d'être juste dans toutes ses choses ici-bas», n'est-ce pas ?

En tout cas, c'est d'une terrible réalité que ce livre témoigne, une terrible réalité qu'il faut connaître.

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