Il y a 25 ans - En Espagne, la mort de Franco : La monarchie juancarliste, un héritage de la dictature franquiste01/12/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/12/une-1690.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

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Il y a 25 ans - En Espagne, la mort de Franco : La monarchie juancarliste, un héritage de la dictature franquiste

Il y a vingt-cinq ans, le 25 novembre 1975, le dictateur espagnol Francisco Franco mourait après une agonie médicalement prolongée. Le même jour, Juan Carlos était couronné roi d'Espagne. La monarchie était instituée dans ce pays. Après quarante ans de dictature, celui-ci devait, d'après ses dirigeants, évoluer sans à-coups vers un régime où le Parlement, les partis, les syndicats joueraient, comme dans les autres pays européens, un rôle d'amortisseurs entre, d'une part, les classes dominantes et l'appareil d'Etat à leur service et, d'autre part, la population, en particulier les classes populaires.

La crise politique qu'avait connue le Portugal en 1974 avait servi de leçon aux dirigeants politiques de l'Espagne. Ils savaient qu'il n'est pas toujours facile de tourner en douceur la page après une dictature honnie de larges couches de la population. Et tous ceux qui au soir du 25 novembre trinquaient à la mort de Franco, tous ceux qui voyaient dans la fin du franquisme si largement attendue un espoir de changement pouvaient à tout faux pas faire capoter les calculs des tenants du franquisme qui depuis des années préparaient la transition.

Mais aujourd'hui, vingt-cinq ans plus tard, journalistes et commentateurs espagnols se sont faits bien discrets sur ce qu'a représenté le franquisme. Il n'a pas ou peu été question de la guerre civile, des massacres, de la répression, du carcan dans lequel a vécu pendant un peu plus de quarante années la population espagnole. Il n'a pas été non plus question des luttes menées par les travailleurs. Il n'a été question - ou presque - que du bon roi Juan Carlos, en faisant de lui le héros de la transformation du régime. « Pilote de l'Etat », « moteur du changement démocratique », « homme exceptionnel qui a su, d'en haut, modérer les intérêts des partis », « garant de la paix et symbole de l'unité de la nation », « roi républicain », l'unanime hommage rendu à Juan Carlos a de quoi écoeurer tous ceux qui, en Espagne, n'ont pas oublié ce qui s'est passé pendant les quarante années de franquisme et le quart de siècle qui s'est ensuivi ; tous ceux qui n'ont pas oublié que les sacrifices impitoyables imposés aux travailleurs, les répressions sanglantes n'ont pas fait place à plus de justice et d'égalité.

Juan Carlos artisan de la «transition» sans à-coups...

La propagande du régime ne peut dissimuler que Juan Carlos est le produit direct du franquisme. Il est l'héritier de Franco qui l'avait, de longue date, désigné comme son successeur possible. C'est en effet depuis 1948, période où il est arrivé en Espagne, que Juan Carlos avait toujours vécu et agi dans l'ombre de Franco dont il assurait l'intérim quand ce dernier était malade. Il était l'un des responsables de ce régime de terreur dans lequel toute mobilisation ouvrière était violemment réprimée et où les militants de gauche, les syndicalistes, les opposants étaient traqués, emprisonnés, torturés.

Lorsque, à quelques mois de la mort annoncée de Franco, ce dernier signait ses derniers arrêts de mort contre deux militants de l'ETA, deux du FRAP (mouvement d'extrême gauche) et un anarchiste, le « roi-démocrate » Juan Carlos assumait les derniers crimes du bourreau agonisant. Son rôle était de donner à l'appareil d'Etat qui restait en place une façade parlementaire destinée à protéger les institutions et les hommes qui avaient été l'ossature même du pouvoir de la bourgeoisie et devaient le rester. Il fallait que la « transition » se passe sans que l'armée et son état-major, la police et l'ensemble de l'appareil judiciaire n'aient de comptes à rendre sur leur politique passée.

Et c'est cette tâche-là que Juan Carlos a tenté d'accomplir depuis vingt-cinq ans. Il l'a fait sans faille, c'est vrai. Un exemple, lorsqu'en février 1981, des nostalgiques du franquisme ont menacé le Parlement. Car si Juan Carlos s'est alors prononcé contre le coup d'Etat, en se présentant comme le sauveur de la démocratie, il s'est bien gardé de mener la guerre aux participants au coup d'Etat avorté dont la grande majorité n'a pas été jugée alors que ceux qui l'ont été n'ont eu que de bien faibles peines.

A l'occasion de ce vingt-cinquième anniversaire, le constructeur automobile Mercedes a fait paraître dans la presse une annonce publicitaire remerciant le roi pour nous avoir « conduits jusqu'ici en toute sécurité ». En toute sécurité pour les profits de Mercedes sans doute. En toute sécurité pour la « paix sociale » sans doute aussi. Mais si Juan Carlos a pu jouer ce rôle, c'est parce que dans les années qui ont suivi la mort de Franco, les partis politiques qui étaient liés à la classe ouvrière et aux classes populaires, le Parti Socialiste (le PSOE), aux ambitions réformistes avouées, mais aussi le Parti Communiste qui se voulait plus radical, ont renoncé à toute politique visant à défendre les intérêts des classes populaires et en particulier de la classe ouvrière qui, depuis des années pourtant, montrait sa combativité.

...grâce à la collaboration des partis de gauche

Les artisans de la transition sans à-coups ne sont pas seulement à chercher du côté de Juan Carlos et de son entourage, mais aussi et surtout du côté des partis de gauche et de leur choix de trahir les intérêts politiques et sociaux des classes populaires. L'absence de crises sociales ou politiques dans cette transition n'était pas gagnée d'avance.

Juan Carlos et les anciens responsables du franquisme voulaient blanchir, sans plus, la façade du franquisme. Mais rien ne garantissait que la classe ouvrière, qui depuis des années se montrait mobilisée et réactive, n'interviendrait pas. En tout cas les responsables politiques du franquisme en mutation le craignaient.

En mars 1976, la dissolution d'une assemblée ouvrière de grévistes à Vitoria avait fait quatre morts parmi les ouvriers, déclenchant une grève générale dans tout le Pays basque qui fut relayée par des manifestations de protestation dans tout le pays. Cela incita le roi à rencontrer le leader du PCE, Santiago Carrillo, qui fut invité à freiner les mobilisations s'il voulait obtenir sa légalisation. Le leader socialiste Felipe Gonzalez fut aussi invité à plus de modération. Et il n'en fallut pas plus pour que Santiago Carrillo se rallie ouvertement à la monarchie et cherche les occasions de montrer que, s'il était capable de mobiliser les travailleurs, il était aussi capable de contrôler ses militants et de canaliser les mouvements de la classe ouvrière.

La bourgeoisie avait besoin de stabilité sociale pour faire passer un certain nombre de mesures antiouvrières. Elle reçut la caution du PSOE et du PCE ainsi que celle des organisations syndicales qui leur étaient liées. Les Pactes de la Moncloa, issus de cette sinistre alliance, donnèrent le coup d'envoi d'une politique antiouvrière qui, depuis, n'a cessé de se traduire par une aggravation de la situation des travailleurs victimes des reconversions, de l'extension du chômage, du développement de la précarité.

Juan Carlos avait besoin de l'appui des organisations ouvrières pour préserver la paix sociale, et il le trouva facilement. Mais il en avait aussi besoin pour mener à bien sa réforme politique et faire fonctionner le parlementarisme. Et sur ce problème encore, il trouva facilement des alliés de fait parmi ces deux partis liés à la classe ouvrière. Le problème des héritiers de Franco était qu'il n'y avait pas en Espagne, au lendemain du franquisme, de parti politique de droite disposant d'un crédit suffisant parmi la population. Les hommes de droite, trop compromis à cause de leurs liens avec la dictature, ne pouvaient donner l'illusion du changement. Les responsables de la transition se tournèrent donc vers les partis de gauche pour jouer le jeu d'un parlementarisme où le PSOE se retrouva rapidement à assumer les responsabilités gouvernementales, en harmonie avec Juan Carlos, tandis que le PCE voyait son audience diminuer dans la classe ouvrière sans que lui soit ouverte la moindre possibilité d'accéder à une quelconque responsabilité gouvernementale.

Alors, si Juan Carlos a réussi quelque chose, c'est à donner dès le début une certaine légitimité au régime, à faire oublier que la réalité du pouvoir reste, sinon aux mêmes personnes, du moins aux mêmes forces politiques que sous le franquisme. On comprend que ses amis politiques lui en sachent gré. Mais on ne peut s'empêcher de ressentir un profond écoeurement devant les flagorneries qui viennent aussi d'hommes politiques se prétendant socialistes ou communistes. Des flagorneries qui reflètent une fois de plus les trahisons et la lâcheté des partis liés à la classe ouvrière dans ce dernier quart de siècle.

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