Lire : Le médecin personnel du roi (de Per Olov Enquist)24/11/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/11/une-1689.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

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Lire : Le médecin personnel du roi (de Per Olov Enquist)

(Le médecin personnel du roi, de Per Olov Enquist, Editions Actes Sud, 367 pages, 149 francs)

Voilà un roman historique sur l'époque, évidemment bien peu connue en France, où règnait sur le royaume de Danemark un jeune homme de 19 ans, Christian VII, psychologiquement détraqué par une éducation volontairement misérable, stupide et particulièrement brutale. En 1770, pour l'accompagner dans l'un de ses voyages à travers l'Europe, son entourage intriguant et manipulateur décida de faire appel à un médecin de la ville d'Altona, aujourd'hui allemande mais danoise à l'époque. Ainsi, Johann Friedrich Struensee fit son entrée à la cour de ce roi demi-fou.

Struensee était en contact avec des intellectuels européens progressistes, se revendiquant du courant d'idées dit des Lumières auquel appartenaient, entre autres et pour ne parler que de ses contemporains, des hommes comme Jean-Jacques Rousseau, Diderot et Voltaire. Le roi Christian VII, tout dérangé qu'il pouvait être, professait également une grande admiration pour ces idées et se flattait de correspondre avec Voltaire. Struensee et le roi ne tardèrent pas à sympathiser, le premier prenant rapidement un grand ascendant sur le second, au point de gouverner à sa place et de devenir une sorte de "despote éclairé", avec l'assentiment et l'appui plus ou moins fermement exprimé du roi. Evidemment, une telle situation et une telle influence ne pouvaient que valoir bien des jalousies et des haines à Struensee, et en particulier dans l'entourage du roi. Sa liaison amoureuse avec la reine n'arrangea rien. Deux ans après avoir atteint le sommet du pouvoir aux côtés du roi, Struensee était arrêté et torturé à mort. La brève parenthèse d'un règne "éclairé" était refermée brutalement et avec l'approbation de tous.

Struensee avait décidé de réformer la société et le gouvernement du Danemark. Il voulait les moderniser selon les idées qui travaillaient toute la société européenne dans ces années qui précédèrent de si peu la révolution française et son retentissement international. Mais il entendait réussir de façon tout intellectuelle, dans l'ombre et la tranquillité de son bureau, loin de la population danoise et en particulier de celle qui souffrait le plus de l'oppression dans ce Danemark féodal.

Ainsi, il signa, avec ou sans le roi, une avalanche de décrets, visant à moderniser l'économie, à réduire une armée coûteuse et les dépenses de la Cour. Il s'opposa à l'obscurantisme des élites religieuses, dont le rôle et l'influence étaient déterminants dans le pays. Ni la noblesse ni le clergé ne lui pardonnèrent ces décisions qui allaient à l'encontre de leurs intérêts. Et ils purent d'autant plus facilement oeuvrer à la perte de Struensee que ce dernier ne rechercha jamais aucun soutien dans la société danoise elle-même. Au contraire, sous prétexte de peaufiner un système économique de remplacement, il recula toujours le moment de proclamer l'abolition du servage. Pourtant seule l'annonce d'une telle réforme, crainte à juste titre par la noblesse danoise dont elle aurait signifié la perte, aurait pu mobiliser la population paysanne. Elle lui aurait peut-être permis de trouver un appui réel pour mener à bien sa politique. Mais Struensee, pas plus d'ailleurs que la plupart des intellectuels des Lumières, pas plus que certains monarques européens dits eux aussi "éclairés" de l'époque, n'envisageait de faire appel à la force populaire pour changer les choses. Mais d'en haut, nul despote éclairé ne pouvait révolutionner la société, au Danemark comme ailleurs en Europe à la même époque.

Le roman évoque surtout les deux années de gouvernement exercé par Struensee et s'organise autour de Christian VII, Struensee et la jeune reine, Caroline Mathilde. En toile de fond, sont évoqués le royaume du Danemark (qui à l'époque comprenait également la Norvège), avec son organisation féodale et oppressive, et au-delà l'Europe de la veille de la révolution française. A partir de tous ces éléments, Per Olov Enquist réussit à brosser un tableau talentueux, passionnant et tout en finesse.

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