Lire - Classe 1902 - Une éducation sentimentale et politique dans l’Allemagne en guerre (d’Ernst Glaeser)17/11/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/11/une-1688.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

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Lire - Classe 1902 - Une éducation sentimentale et politique dans l’Allemagne en guerre (d’Ernst Glaeser)

(Classe 1902, Une éducation sentimentale et politique dans l'Allemagne en guerre. Editions Nuits rouges. 309 p., 74 francs)

Ce roman, en grande partie autobiographique, parut pour la première fois en 1928 en Allemagne, puis en France, où il fut traduit et édité pour la seule et unique fois en 1929 sous le titre de "Classe 22". 1902 est la date de naissance du héros du livre, mobilisable à vingt ans, soit en 1922.

Le nouvel éditeur a donc préféré traduire littéralement le titre allemand, ce qu'on peut approuver, mais on ne peut en dire autant pour les quatre pages de préface qu'il insère en ouverture du texte et qui sont, elles, particulièrement de mauvaise foi. Distribuant les bons et les mauvais points au romancier qui, à l'époque où il écrivit son livre, était un sympathisant du Parti Communiste allemand (ce qui suffit à le rendre suspect semble-t-il aux yeux de l'éditeur dont les sympathies vont, elles, au courant anarchiste), la préface incite à une lecture tout ce qu'il y a de schématique. Pourtant, ce roman dans lequel le lecteur suit le passage de l'enfance à l'adolescence d'un garçon qui a 12 ans en 1914, au moment du déclenchement de la guerre, est tout en nuances et en sensibilité.

Ernst, lycéen dans une petite ville de l'Allemagne du sud, s'éveille à toutes les complexités de la vie. Les injustices et les inégalités sociales, la mesquinerie et la médiocrité de nombre de ses camarades de classe qui prennent plaisir à persécuter plus faible ou plus sensible qu'eux le heurtent, ainsi que la méchanceté et l'hypocrisie de beaucoup d'adultes. L'éveil de sa sexualité, impérativement attrayante mais que l'ignorance et l'hypocrisie rendent mystérieuse, lui valent bien des déboires et des frayeurs. Sa solidarité spontanée avec un jeune Juif, souffre-douleur d'un maître de gymnastique sournoisement antisémite, le rapproche d'un garçon plus averti et plus mûr que lui, fils d'un ancien officier anticonformiste.

Brutalement, cette société bien ordonnée bascule dans la guerre et bouleverse le quotidien. Emportés par la vague nationaliste, tous les habitants se retrouvent dans une grande union chauvine : bourgeois et petits-bourgeois se sentent pousser des ailes de héros, les ouvriers sont abreuvés de musique militaire et de discours patriotiques, les militants socialistes sont trahis, abandonnés par leurs chefs dont les idées chancellent. Tous, bras dessus bras dessous, s'engagent dans la guerre que l'on annonce courte et... victorieuse.

L'été 1914 passe, puis l'hiver, puis revient l'été. Les années s'égrènent et la mort se fait omniprésente. Les armées se sont terrées dans les tranchées. Des convois de blessés traversent la ville. Des permissionnaires, amaigris, silencieux, évoquent ce qui se passe sur le front. La disette sévit. La mort frappe à l'arrière la population civile au cours des premiers bombardements aériens. La conscience qu'il n'y a pas de héros mais seulement des morts, et des morts "pour les capitalistes", fait son chemin et nourrit quelques manifestations de refus, voire de révolte, dans la petite ville meurtrie...

Ernst Glaeser évoque ces années telles qu'un jeune garçon les a vécues et comprises. C'est dire qu'il n'explique ni ne décrit tout de la période, de la guerre, d'événements qui marquèrent ces années et dont l'écho n'atteignit les adolescents, héros du livre, que de façon assourdie et déformée par leurs propres drames et émotions personnels. Mais le livre n'en donne pas moins une image saisissante de ce que furent ces années de guerre pour la population civile d'Allemagne, comme de tous les pays pris dans la première boucherie mondiale.

Alain VALLER

(Ernst Glaeser donna une suite à son roman, avec d'une part La Paix, qui raconte la fin de la guerre, le retour des soldats et les journées de la révolution ouvrière allemande de 1918-1919, et d'autre part, Le dernier civil, relatant les débuts de la montée du nazisme en Allemagne. Ces deux livres, aussi intéressants que Classe 1902, ont été réédités respectivement en 1974 et en 1986.)

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