L'éditorial d'Arlette LAGUILLER : La barbarie n'est pas seulement là-bas...03/11/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/11/une-1686.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Editorial

L'éditorial d'Arlette LAGUILLER : La barbarie n'est pas seulement là-bas...

Ceux qui ont vu à la télévision le charnier découvert à Abidjan, en Côte-d'Ivoire, ne pouvaient ressentir que de l'horreur mêlée de dégoût. Les 57 jeunes, dont on a retrouvé les cadavres, ont été exécutés lors d'une flambée de violence provoquée.

Depuis plusieurs années, la Côte-d'Ivoire s'enfonce dans une crise économique due aussi bien à la chute du prix des matières premières qu'au pillage des grands groupes capitalistes, dont la plupart sont français, et à la corruption du régime ivoirien lui-même. Cette crise a appauvri une population déjà pauvre. Car, si la Côte-d'Ivoire passait pour un pays où ceux qui avaient des capitaux pouvaient faire beaucoup d'argent, l'écrasante majorité de sa population vit dans la pauvreté. Mais la Côte-d'Ivoire connaît aussi, depuis la mort de son vieux dictateur Houphouët-Boigny, le protégé de l'impérialisme français, une crise de succession. Et c'est à coups de démagogie xénophobe que s'affrontent les clans politiques rivaux. Cette démagogie est particulièrement grave dans un pays dont plus d'un tiers de la population - surtout des travailleurs - est originaire d'autres pays d'Afrique, le Burkina-Faso notamment, et elle conduit, aussi, à opposer les populations du Sud à celles du Nord.

Il faut " remettre les étrangers à leur place ", voilà le message répété par les dirigeants et relayé par une presse aux ordres. " Ce sont eux les responsables de la pauvreté et du manque de terres ".

Cette démagogie doit nous rappeler quelque chose, ici en France. Ici aussi, il s'est trouvé des crapules d'extrême droite pour accuser les travailleurs immigrés d'être responsables du chômage. Et on a vu des politiciens de droite, voire prétendument de gauche, reprendre cette démagogie pour que le mécontentement se détourne des vrais responsables. Eh bien, en Côte-d'Ivoire, cela a conduit au drame.

La haine semée depuis des années s'est transformée en tempête lors de l'élection présidentielle. Cette élection devait mettre un terme à dix mois de régime militaire. Pour le général Gueï, chef de la junte militaire, elle n'était destinée qu'à prolonger son pouvoir et à le légitimer. Pour être plus sûr de gagner, il a fait écarter la candidature de Ouattara, un de ses concurrents les plus dangereux, en prétendant qu'il n'était pas ivoirien d'origine. Il l'a fait avec la complicité du principal concurrent resté en lice, Gbagbo, un homme qui est un ami des dirigeants du Parti Socialiste français. Le gouvernement français a donné sa bénédiction à cette élimination peu démocratique de candidats.

Gueï a poussé la mascarade jusqu'au bout et s'est proclamé vainqueur malgré le résultat contraire qui se dessinait dans les urnes. Mais les quartiers populaires, qui en avaient assez de la dictature militaire, assez du racket quotidien des soldats, ont réagi et obligé Gueï à fuir. Gbagbo s'est déclaré président, aussitôt contesté, avec quelque raison, par le clan de Ouattara. L'affrontement est devenu racial, ce que non seulement l'armée et la gendarmerie n'ont pas cherché à arrêter mais ce à quoi elles ont participé.

Même si la violence fratricide retombe, elle laissera des traces dans les quartiers populaires, dans l'espace étroit des courées où l'on vit côte à côte, dans une même pauvreté que seule la solidarité atténue un peu.

Ceux qui ont semé la haine se lavent les mains des conséquences. Le nouveau président propose un gouvernement d'union nationale et il a appelé au calme en compagnie de son rival. Mais ce sont ces gens-là qui ont armé les bras qui ont tué.

Les autorités françaises ont couvert la démagogie xénophobe des dirigeants ivoiriens. Et comment ne pas rappeler la responsabilité des grands groupes économiques français qui pillent à mort ce pays ?

Oui, le charnier d'Abidjan nous a montré une image de la barbarie. Mais cette barbarie n'est pas seulement celle des bandes racistes qui sévissent dans les quartiers pauvres. Elle est le fait des dirigeants qui les ont dressées les unes contre les autres. La barbarie, c'est surtout la misère, matérielle et morale, que l'impérialisme provoque et entretient partout où il domine.

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