Grande-Bretagne - Le déraillement de Hatfield : Le profit a de nouveau tué27/10/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/10/une-1685.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Grande-Bretagne - Le déraillement de Hatfield : Le profit a de nouveau tué

Quatre morts et 84 blessés dont 36 grièvement - tel est le bilan du déraillement d'un rapide Londres-Leeds survenu le 17 octobre à Hatfield, en Grande-Bretagne. Et cette fois encore, à peine un an après la collision qui avait fait 31 morts en octobre 1999 près de la gare londonienne de Paddington, c'est la privatisation des chemins de fer qui est mise en accusation.

Une incurie criminelle

Déjà la collision de Paddington avait souligné les économies criminelles faites aussi bien par la compagnie propriétaire des voies, Railtrack, qui se révéla responsable de négligences graves en matière de signalisation, que par les lignes privées, qui avaient maintenu en service du matériel roulant dont les systèmes de protection ne fonctionnaient pas et dont la vétusté était à peine masquée par quelques replâtrages de fortune.

Mais le déraillement de Hatfield montre de façon encore plus crue jusqu'où ces mêmes compagnies sont capables d'aller en matière d'incurie.

Les patrons ont eu beau parler de terrorisme puis de malveillance, ils n'ont pu empêcher la vérité d'éclater au grand jour : il s'agissait bel et bien d'un rail qui s'était brisé sous le poids de la rame qui roulait à 160 km/h, bien en-dessous de la vitesse maximale de 184 km/h prévue à cet endroit.

Or, comme on l'a su dans les jours qui ont suivi, cette rupture n'avait rien d'imprévisible. En décembre dernier, un rapport de visite avait signalé l'usure anormale des rails à cet endroit. Ces rails n'avaient pourtant que cinq ans, mais ils avaient été achetés à bas prix et, grâce à on ne sait quelles complicités, ils avaient été posés sans avoir jamais passé de test de conformité. Quoiqu'il en soit, des rails de remplacement avaient bien été commandés et livrés en mai. Mais lorsque le déraillement du 17 octobre s'est produit, ces rails flambant neufs attendaient toujours d'être posés, abandonnés tout près du lieu de l'accident.

Le profit contre la sécurité

Pourquoi une telle absurdité ? Parce que les dirigeants de Railtrack avaient sans doute des soucis plus " urgents ", comme celui de transformer la gare voisine de Hatfield en mini-centre commercial dont ils pourraient tirer un revenu confortable. Et aussi parce qu'à force de réduire les postes à l'entretien des voies (-30 % en quatre ans) il n'y a souvent plus assez de bras même pour les tâches les plus urgentes.

Mais Railtrack n'est pas seule en cause dans cette affaire. Great North East Railways (GNER), la ligne privée Londres-Edinburgh-Glasgow dont dépend Leeds, a au moins autant de responsabilités. Ses dirigeants étaient au courant de l'usure des rails à cet endroit. C'est un problème qu'ils connaissaient bien puisqu'il se posait sur d'autres tronçons de la ligne et que sur certains, ils avaient dû imposer des limitations de vitesse. Mais pas sur ce tronçon-là. De sorte que pendant dix mois, ce tronçon fragilisé a dû subir chaque jour des dizaines de rames roulant à pleine vitesse. Pire, depuis cet été, pour attirer la clientèle d'affaire, GNER avait loué des rames d'Eurostar pour assurer certaines liaisons sur cette ligne. Or ces rames sont beaucoup plus lourdes que les rames ordinaires, ce qui ne pouvait qu'accélérer l'usure des rails défectueux.

Pour GNER il était bien plus important de faire monter les recettes en augmentant le nombre de trains et en faisant dans le luxe que de penser aux risques de rupture de rails et à la sécurité des passagers. Quatre d'entre eux l'auront payé de leur vie.

Mais faut-il s'étonner de ce que les grandes institutions financières qui contrôlent Railtrack ou encore Sea Containers, le géant du frêt maritime dont GNER est une filiale, se moquent du sort des usagers comme de leur premier million ? Pour eux les chemins de fer ne sont qu'une source de profits, une poule aux oeufs d'or parmi bien d'autres, dont ils peuvent se dégager à tout moment si par hasard les profits qu'ils en tirent venaient à se tarir.

Les travaillistes et la privatisation

Cela fait maintenant plus de quatre ans que tous les parasites issus de la privatisation des chemins de fer - 25 lignes privées, Railtrack, une vingtaine de compagnies spécialisées dans le frêt et le matériel roulant ou électrique, quelque 120 sous- traitants - vivent ainsi aux crochets des usagers et surtout des 20 milliards de subventions que leur verse l'Etat chaque année, et que les choses vont de mal en pis. Non seulement les retards de trains sont de plus en plus fréquents, mais les ruptures de rail ont augmenté de 35 % au cours de cette période. Quant aux accidents, dans la seule semaine du 17 octobre, en plus du déraillement de Hatfield, il y a eu une collision et un deuxième déraillement !

D'ailleurs on a pu mesurer d'une autre façon l'étendue du désastre, au lendemain de l'accident de Hatfield, lorsque les compagnies exploitantes se sont vu intimer l'ordre d'appliquer leurs propres règlements de sécurité en imposant des limites de vitesse partout où elles savaient qu'il y avait des risques similaires. Au total 80 tronçons ont été affectés, recouvrant plus de 1 600 km de voies, et pour l'essentiel sur des lignes à fort trafic. Depuis, voyager en chemin de fer est un cauchemar.

Mais ce n'est pas pour autant que Blair et son gouvernement travailliste envisagent de remettre en cause une privatisation à laquelle ils s'étaient pourtant opposés lorsqu'elle avait été mise en oeuvre par leurs adversaires conservateurs. Après l'accident de Paddington, face au scandale soulevé, Blair avait bien annoncé des mesures " draconiennes " pour obliger les compagnies à investir dans la sécurité. Mais tout ce qu'il fit fut de créer une " autorité stratégique des chemins de fer ", une institution bureaucratique de plus, dirigée par un ancien avocat d'affaire, et dont le rôle fut limité à imposer aux compagnies de chemins de fer un maximum de profitabilité. Ce qui n'a d'ailleurs pas empêché la valeur des actions de Railtrack de doubler en un an ! D'autant plus qu'en même temps, le ministre des Transports annonçait un plan d'investissements dans le rail financé par l'Etat - sans aucune contrepartie de la part des actionnaires.

Et aujourd'hui, c'est à la même sinistre farce qu'on est en train d'assister. Face à l'incurie scandaleuse des compagnies exploitantes, les dirigeants travaillistes n'ont su que réitérer leur soutien à la privatisation. Pire, rubis sur l'ongle, ils vont offrir un dividende à l'âpreté au gain des actionnaires, sous la forme d'une augmentation de la subvention d'Etat de 11 milliards de francs par an pour les cinq années à venir !

Dans ces conditions, pourquoi les compagnies exploitantes auraient-elles à s'en faire ? Au moins tant que les usagers et les salariés des chemins de fer, qui sont les premières victimes des requins du rail, ne prennent pas eux-mêmes les choses en main.

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