Nos lecteurs nous écrivent : Les conditions de travail à bord des chalutiers06/10/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/10/une-1682.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

Nos lecteurs nous écrivent : Les conditions de travail à bord des chalutiers

L'An-Oriant était l'un des cinq 38 mètres qui pêchent au large des mers d'Irlande et du Nord pour la chaîne de supermarchés Intermarché. Il y a aussi quatre 54 mètres.

Le naufrage nous a bien sûr beaucoup émus car tous ceux qui travaillent à bord de ces bateaux se connaissent et cela aurait pu arriver à n'importe lequel d'entre nous. Nous sommes en plus convaincus que cet accident n'est pas dû à la fatalité même s'il reste exceptionnel car le temps par lequel il a eu lieu, lui, n'a rien d'exceptionnel.

Nous pêchons au large de ces mers toute l'année et par tous les temps. Une seule limite : lorsque le vent est de force 7 à 8 (plus de 60 km/h), le chalut (filet) reste à l'intérieur. Les bateaux sont, paraît-il, conçus pour résister aux fortes tempêtes. Mais il n'est pas rare que par gros temps, le bateau se retrouve complètement couché sur le flan. Dans ces moments c'est toujours l'angoisse et on se dit " pourvu que le bateau se redresse avant qu'une deuxième lame vienne le percuter ". C'est bien ce qui semble être arrivé à nos camarades de L'An-Oriant.

En plus des dangers de la mer, les conditions de travail à bord sont très dures. Nous sommes une poignée d'hommes à bord, quatorze pour les plus gros bateaux : six ou sept matelots dirigés par un bosco (maître de manoeuvre), trois mécanos, un cuistot plus le lieutenant et le gérant du bateau. Le chalut amène directement les poissons sur un tapis roulant à l'intérieur du bateau. Là, les matelots prennent les poissons encore vivants, les vident et les mettent sur un autre tapis roulant qui les mènent vers la machine à laver. Le travail se fait debout à une cadence très rapide : entre 150 et 200 kg de poissons par heure par matelot. Une fois lavés, les poissons sont automatiquement dirigés vers les cales où ils sont conservés dans la glace.

La " journée " de travail fait au minimum 9 heures mais peut aller jusqu'à 24 heures. Et encore il s'agit là des horaires normaux ! Lors d'une récente marée le patron du bateau s'était mis en tête de faire une pêche exceptionnelle de lieu noir car il y avait, disait-il, une forte demande pour ce poisson. On a rempli les cales au maximum, soit 75 tonnes de poissons (une pêche normale fait entre 30 et 50 tonnes), dont la moitié d'un seul coup. Ca veut dire que nous avons travaillé 56 heures d'affilée, debout, sans le moindre repos à part 30 minutes pour les repas. De toute façon on ne fait jamais de nuit normale, chacun dort quelques heures, souvent quelques dizaines de minutes, au moment où c'est possible.

Chaque marin fait chaque année une dizaine de " marées " espacées par une semaine de repos. Une " marée " est une période d'environ 26 jours pendant lesquels le même équipage effectue trois sorties en mer de huit jours en moyenne. Les sorties sont limitées à huit jours pour maintenir la fraîcheur du poisson mais aussi parce que c'est la limite des réserves en gas-oil. Le chalutier reste à quai une journée entre deux sorties pour le déchargement, ce qui nous permet de nous reposer un peu. Quant à la semaine de repos, nous ne la voyons pas passer. En fait on passe quasiment la première moitié à dormir.

Nous sommes payés chacun 11 millièmes de la valeur totale de la marchandise (le gérant touche 33 millièmes). Ce qui nous fait un salaire qui peut monter jusqu'à 15 000 F pour les grosses pêches, avec un minimum garanti de 9 000 F. C'est plus qu'un ouvrier d'usine mais ramené au nombre d'heures de travail et aux risques encourus, c'est pas cher payé !

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