Lire : Bonnes feuilles de " Paroles de prolétaires ", d'Arlette Laguiller - " L'ouvrier, un robot... "08/09/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/09/une-1678.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

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Lire : Bonnes feuilles de " Paroles de prolétaires ", d'Arlette Laguiller - " L'ouvrier, un robot... "

Nous terminons cette semaine la publication d'extraits du livre d'Arlette Laguiller, Paroles de Prolétaires, paru au printemps 1999, qui rassemble de nombreux témoignages de travailleurs illustrant ce qu'est aujourd'hui encore la condition de la classe ouvrière.

Un chapitre y est consacré à l'organisation du travail dans l'usine Renault de Flins, et à ce que cela signifie pour les travailleurs.

Les images les plus connues, sans doute, de l'industrie automobile, sont celles des chaînes de montage. Elles figurent même dans les dépliants publicitaires de nombreux constructeurs. Mais ces instantanés sur papier glacé ne peuvent pas rendre compte de ce que signifie le travail sur une chaîne de montage. Le récit de Didier l'évoque sans doute infiniment mieux :

" Le montage est constitué par deux gigantesques bâtiments, formant une sorte de grand U. Chaque barre mesure 500 mètres de long. On y trouve deux lignes de fabrication distinctes : une pour la Twingo, une pour la Clio. Les voitures entrent au montage après la peinture. On retire les portes pour éviter qu'elles soient abîmées. Elles seront remontées à la fin. Tout le long de la chaîne s'affairent des centaines et des centaines de personnes qui doivent, en moins d'une minute chacune, faire toutes les opérations nécessaires puis passer à la voiture suivante.

Il n'y a pas beaucoup d'automatisation, ni de robots. L'effectif total du montage doit être de 2 000 personnes, intérimaires compris. Et il y a une demi douzaine de robots. Cela a soulagé quelques postes pénibles, mais ce n'était pas la préoccupation première. L'essentiel était de faire, sur la voiture, des opérations en moins d'une minute, et donc de faire disparaître les points bloquants. Ils ont fait des efforts pour mettre, sinon des robots, du moins des engins qui manipulent, des assistances pour prendre les pièces lourdes, comme les roues par exemple. Cela a soulagé certains postes. Mais comme les gars ont plus de temps, on leur fait faire d'autres opérations. Et en fin de compte, ils ne sont pas forcément gagnants.

Les deux lignes de fabrication, Twingo et Clio, sont maintenant au rez-de-chaussée du bâtiment. Avant, le montage occupait deux étages mais, vu la vétusté des bâtiments, il n'était plus possible de laisser une chaîne au premier.

Pour la ligne Clio, la direction s'est vantée d'avoir conçu une chaîne à hauteur variable : à certains postes, la voiture est levée par des chandelles, ce qui permet de travailler plus facilement. Il est vrai que cela évite à des ouvriers de se pencher quatre cents fois par jour, mais d'un autre côté la direction considère que cela dégage du temps pour d'autres opérations. Se baisser et se relever, cela représente quatre centièmes de minute. Pour la direction, celui à qui on retire ces deux opérations peut donc faire autre chose à la place : mettre une agrafe là, tirer un bout de câble ici, etc.

Pour la Twingo, il n'a pas été question de faire une chaîne à hauteur variable qui demande de creuser des fosses. La chaîne est pourtant plus récente, puisqu'elle a été aménagée cet été, mais elle est simplement posée sur une dalle de béton : un tapis roulant et un malheureux moteur pour entraîner le tout, cela fait très peu de frais. évidemment, personne ne parle plus d'ergonomie dans ce cas-là. Ils ont au contraire réduit la longueur de la chaîne et les postes sont très près les uns des autres. La direction peut toujours, après cela, se lamenter sur les rayures qu'encaissent les carrosseries, ce n'est pas étranger au fait que les gars ont de plus en plus de travail et sont les uns sur les autres.

Les conditions de travail sont de plus en plus dures parce que pour l'an 2000 l'objectif de la direction est ce qu'ils appellent " IMVP 15 heures ". C'est un objectif complètement fou et dont on se demande comment elle peut le calculer. Ce n'est pas le temps mis à l'usine de Flins pour fabriquer une Clio ou une Twingo, mais le temps que devrait mettre Flins avec son environnement, les sous-traitants, etc., à construire une Toyota Corolla. C'est une simulation à propos d'une voiture qui date de 1992 et qui ne sera bientôt plus en circulation. Mais sur le terrain, ce qu'on voit, c'est qu'IMVP 15 heures, c'est du temps diminué et des postes supprimés à droite et à gauche.

L'implantation de la nouvelle chaîne s'est traduite par la suppression de postes de caristes. Tout l'approvisionnement de Flins arrive par des centaines de camions. Autrefois ils arrivaient à une gare routière centrale et les composants étaient acheminés vers les chaînes. Maintenant, tout le long de la chaîne, on a créé des gares routières pour que les camions arrivent au plus près ; quand il fait froid et que les caristes ouvrent sans arrêt les portes pour amener les pièces, le froid s'engouffre. Le montage, c'est cela : huit gares routières et autant de sources de courants d'air pour que les pièces arrivent le plus près possible de la ligne.

Tout est conçu pour qu'il n'y ait pas de temps mort ; c'est la chasse à tout ce qui ne rapporte pas de valeur ajoutée au véhicule. Pour la direction, prendre une visseuse et la reposer, c'est du temps considéré comme ne rapportant rien, même si c'est indispensable ; seule la pose de la vis ajoute de la valeur ; donc on essaie de réduire le plus possible le temps " inutile ".

Pour la nouvelle Clio, les gens dont c'est le travail ont calculé depuis leur bureau, suivant les vieux principes du taylorisme, que pour mettre en place telle ou telle pièce, il faut tel type de geste qui entraîne la rotation du poignet ou le déplacement de l'avant-bras, la torsion de l'épaule... et que tout cela prend un nombre précis de centièmes de minute. évidemment, on s'aperçoit que le temps théorique n'est pas tenable. Quand c'est trop criant, ça ne passe pas. Parfois, au contraire, ils se rendent compte que le temps est un peu plus large parce que les gars ont trouvé des petites astuces qui leur permettent de souffler. Alors, par couches successives, on voit passer toute une foule de blouses blanches : celles des Méthodes de Flins, d'autres pour comparer avec ce qui se passe à Révoz (en Slovénie) ou à Valladolid (en Espagne), qui fabriquent la même voiture ; tous les chefs des différents tronçons de chaîne - que la direction met en concurrence avec ceux des Méthodes pour diminuer les temps. On a tout vu, même des cabinets extérieurs (des cabinets japonais qui ont déjà sévi à Sandouville) venant faire un audit des Méthodes, et des gens qui viennent avec des caméscopes filmer les gars en chaîne !

La direction compare tous les résultats parce qu'elle sait bien que les Méthodes, comme les chefs de secteur, sont sensibles aussi à la pression des ouvriers et essaient de ménager la chèvre et le chou. Elle s'arrange pour développer la polyvalence, ce qui fait que quand un poste est trop dur, le chef peut toujours dire au gars : " Aujourd'hui tu as le poste dur mais demain tu auras un poste un peu moins dur " et cela permet de mieux faire passer l'augmentation de la vitesse de chaîne. Sur la Twingo, ils ont augmenté deux fois la vitesse pour gagner deux voitures de plus à l'heure. Et deux voitures de plus à l'heure, sur 3 équipes, cela fait 40 voitures de plus par jour, sans avoir à débourser un sou puisqu'il n'y a pas eu un poste de créé. La direction présente cela comme une amélioration : on évite les déplacements. évidemment, tout cela est comptabilisé ; un pas, c'est un centième de minute. Le pas "étalon", à Flins, mesure 60 centimètres. A Valladolid, le même pas fait 80 centimètres ! Les Espagnols seraient-ils plus grands, en moyenne, que les Français ?

Le poste idéal pour ces gens-là, c'est celui où l'ouvrier est un magnifique robot qui a quasiment les pièces accrochées autour de lui. D'ailleurs des gars sur la chaîne arrivent avec une boîte dans laquelle se trouvent les pièces à poser, la visseuse ; autour de leur taille ils ont une espèce de tablier avec des poches où il y a aussi des pièces. L'homme-orchestre ! On lui a mis le camion quasiment derrière les fesses. Le cariste lui apporte les pièces au plus près. Maintenant, avec ses sacoches, il ne se déplacera plus que toutes les 20 voitures ! "

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