Ecole à plusieurs vitesses : À qui la faute ?28/04/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/04/une-1659.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

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Ecole à plusieurs vitesses : À qui la faute ?

Plusieurs articles de presse ont souligné que de plus en plus de parents, y compris dans des zones populaires, tentent d'inscrire leur enfant ailleurs qu'à l'école de leur quartier ou alors dans l'enseignement privé. Le Parisien titrait ainsi " Les écoles privées affichent complet ". Le Monde quant à lui a consacré une page " à ceux qui déménagent pour trouver une meilleure école ".

Si traditionnellement, dans les milieux bourgeois et petit bourgeois, la recherche du collège ou du lycée prestigieux a toujours existé, il est sûr que la question de l'affectation scolaire ne préoccupe plus seulement les parents des quartiers riches. Bien au contraire, dans les quartiers populaires, dans les villes ouvrières, rongées par le chômage, la misère et la délinquance, bon nombre de parents tentent de placer leurs enfants ailleurs que dans l'école ou le collège du quartier ou le lycée de la commune. Dans la plupart des cas, il s'agit alors de les inscrire dans un établissement dont le niveau et les conditions d'études sont jugés meilleurs.

Ainsi, si l'inscription dans le privé reste l'apanage des familles aisées ou de certaines régions, elle gagne du terrain dans les familles populaires. Dans ces cas-là, les parents se saignent pour payer la scolarité de leur enfant, car si les écoles privées " sous contrat " sont financées à 75 % par l'Etat, elles le sont aussi par les parents qui payent de 300 F à plus de 1 000 F par mois. Le Parisien a cité ainsi une femme RMIste dépensant 500 F par mois, 20 % de ses revenus, pour envoyer sa fille dans une école privée de la Seine-Saint-Denis !

Ce n'est certainement pas l'enseignement religieux qui attire (même si 95 % des écoles privées sont des établissements catholiques), et l'enseignement n'y est pas de meilleure qualité. Tout au plus, n'ayant pas l'obligation d'accueillir tous les enfants, en effectuant une sélection financière et sur dossier, les écoles privées peuvent obtenir une discipline et une soumission plus importantes de ceux qu'elles accueillent.

Quant à l'inscription dans les " bons " lycées ou collèges publics, elle demande aussi de la persévérance. Généralement situés dans des quartiers plus chics, certains parents tentent de faire inscrire leur progéniture en utilisant des voies détournées comme le choix de telle option, ou de telle première langue vivante, ou en faisant jouer des relations et des passe-droits. Dans certains cas, certains vont jusqu'à déménager.

Evidemment, cette " évasion " scolaire ne fait qu'accentuer les déséquilibres entre les établissements et créer des ghettos scolaires. Claude Bartolone, ministre délégué à la Ville, le reconnaissait ainsi ouvertement, en constatant récemment : " La ségrégation sociale et scolaire est le fruit d'une sorte de consensus sécrété par les citoyens eux-mêmes. Dès qu'ils accèdent à un certain mieux-être, ils fuient les quartiers. La stratégie d'évitement de certains parents, quoique compréhensible, a des effets désastreux et tire vers le bas les établissements scolaires. " Sans doute... mais on peut difficilement en rendre responsables les parents qui, à leur niveau, pensent ainsi préserver au maximum les chances de leur enfant de réussir ses études afin d'obtenir plus tard un emploi digne de ce nom.

Et plutôt que d'incriminer seulement les parents pour le fait de déménager, Claude Bartolone devrait s'interroger sur la politique du gouvernement, de son gouvernement. Oui, la situation se dégrade dans les cités et les quartiers populaires. Le chômage n'y diminue pas et la misère, l'insécurité, la petite et la grande délinquance y progressent en raison inverse. Cette dégradation empoisonne et pourrit bien souvent tous les aspects de la vie sociale : le logement, les transports et aussi l'école. Et non seulement le gouvernement n'agit pas contre cette détérioration des conditions de vie des classes populaires, mais il ne fait rien pour en préserver un tant soit peu les établissements scolaires. Les moyens mis à disposition par exemple des ZEP (zones d'éducation prioritaire) sont dérisoires.

Comme le réclament les enseignants et les parents d'élèves, il faudrait diminuer radicalement le nombre d'élèves par classe, en particulier dans ces quartiers pauvres, afin de permettre de ne laisser personne au bord du chemin et d'offrir à tous de réelles conditions d'études, des moyens d'accéder à la culture. Pour cela, il faudrait embaucher des enseignants et du personnel d'encadrement et engager des dépenses en locaux et en matériel.

Ce serait d'abord cela, vouloir lutter contre la discrimination et l'inégalité en matière scolaire et " tirer les établissements vers le haut ". Et voilà ce que le gouvernement pourrait faire, plutôt que de faire la morale aux parents qui n'ont d'autre choix que de subir ou fuir.

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