1915, le génocide des arméniens28/04/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/04/une-1659.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

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1915, le génocide des arméniens

Le 24 avril, plusieurs milliers de personnes ont manifesté à Paris pour commémorer le génocide des Arméniens perpétré par l'Etat turc, dont cette date marque le début en 1915. Les participants à cette manifestation réclamaient aussi l'adoption d'un projet de loi reconnaissant ce génocide, texte récemment bloqué par la majorité du Sénat sous prétexte qu'il ne lui appartient pas de " qualifier l'Histoire ".

En effet, quatre-vingt-cinq ans après et en dépit des évidences, la France n'a toujours pas officiellement reconnu le génocide des Arméniens. L'impérialisme français n'est pas pressé de se brouiller avec la Turquie, partenaire commercial de choix, notamment en matière d'achat de matériel militaire. Mais, au fond, il y a dans cette attitude une belle continuité car il y a 85 ans, comme la plupart des puissances occidentales, l'impérialisme français a eu sa part de responsabilité dans le massacre de près d'un million d'Arméniens.

En 1915, l'Arménie était partagée entre les Empires ottoman, russe et perse. Même si une partie de l'élite arménienne avait essaimé dans la plupart des grandes villes de Turquie et participait à l'administration ottomane, cette minorité de confession chrétienne n'en demeurait pas moins considérée comme des sujets de second rang.

Depuis le 19e siècle, le déclin de l'Empire ottoman avait réveillé les sentiments nationaux des minorités sous domination turque, et les Arméniens n'avaient pas échappé à ce mouvement. Ce réveil était encouragé par les grandes puissances de l'époque - notamment l'Angleterre, la France et la Russie - qui rêvaient d'accroître leur influence dans cette région et mettaient tout en oeuvre pour affaiblir l'Empire ottoman de l'intérieur. Le traité de Berlin (1878), imposé à la Turquie et qui plaçait officiellement la minorité arménienne sous leur protection, renforça ses revendications à plus de libertés et à une égalité des droits. Pourtant, ces grandes puissances ne bronchèrent pas quand en 1895, le sultan Abdulhamid II donna le signal de la répression. Prétextant une révolte de paysans chrétiens, il fit massacrer 200 000 à 300 000 Arméniens dans l'est de la Turquie. Les puissances impérialistes n'intervinrent pas plus lorsqu'en 1909 un nouveau pogrom fit 25 000 à 30 000 morts dans la région d'Adana. Il est vrai qu'entre-temps, elles avaient obtenu de la Turquie des concessions territoriales et économiques.

Dès lors, le sort des Arméniens n'importait plus. Or le gouvernement turc, encouragé par cette passivité et ces silences, était bien décidé à en finir avec la question arménienne. L'occasion lui fut fournie par le déclenchement de la Première Guerre mondiale. La Turquie qui avait rallié le camp de l'Allemagne prétexta des actes de trahison, des sabotages et les velléités séparatistes des Arméniens pour planifier leur extermination. Après avoir désarmé et fait exécuter la plupart des bataillons arméniens qui combattaient sous l'uniforme turc, le 24 avril 1915, les autorités ottomanes ordonnèrent l'arrestation de tous les membres de l'intelligentsia arménienne de Constantinople. Cet ordre fut bientôt suivi de la déportation en totalité de la population arménienne des provinces de l'est et du sud-est, au contact du front russo-turc, puis de toutes les régions de l'Empire ottoman. Le ministre de l'Intérieur Talaat Pacha ne cachait pas qu'au-delà de la déportation, il laissait libre cours aux égorgeurs. " Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens résidant en Turquie ", déclarait-il. " Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l'âge, ni du sexe. Les scrupules de conscience n'ont pas leur place ici ".

De fait, entre le printemps 1915 et l'automne 1916, plus d'un million d'Arméniens, soit les deux tiers de cette population, furent massacrés.

Ceux qui en avaient réchappé furent encore victimes de Mustafa Kemal quand celui-ci, dans les années 20, paracheva le " nettoyage ethnique " entrepris par ses prédécesseurs. Comme bien d'autres minorités, les Arméniens ne furent pas seulement égorgés sur l'autel du nationalisme turc, ils payèrent aussi la politique des grandes puissances qui s'étaient servies d'eux comme d'une masse de manoeuvre.

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