Le rapport sur la spoliation des Juifs : Administration et banquiers tels qu'ils sont21/04/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/04/une-1658.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

Le rapport sur la spoliation des Juifs : Administration et banquiers tels qu'ils sont

La mission sur la spoliation des Juifs de France, présidée par Jean Mattéoli, que Juppé avait mise sur pied, vient de rendre son rapport au gouvernement. Banques, assurances, administrations et organismes d'Etat, tous sont éclaboussés par l'attitude et les pratiques qu'ils ont eues dans la chasse aux Juifs, dans la période de l'occupation, dans l'extorsion systématique de leurs biens, ainsi que pour les obstacles que tous ont mis à rendre ce qu'ils avaient volé, et cela jusqu'à une période récente.

Car si 76 000 Juifs de France ont péri en déportation dans les camps d'extermination nazis, ils sont pour la plus grande part passés d'abord entre les mains de l'administration française, qui les a fichés, recensés. Ce sont les gendarmes ou la police qui sont venus les arrêter, les ont mis dans des camps d'internement et ont commencé à les faire crever de malnutrition, les ont dépouillés de tous les biens qu'ils pouvaient avoir sur eux. Et ce n'est qu'à l'issue de ce traitement qu'ils les ont remis aux autorités allemandes pour les envoyer dans les camps d'extermination.

Pour ce faire, le gouvernement de Vichy avait édicté des lois et avait mis sur pied le commissariat aux affaires juives. La police et la justice veillaient à l'application de ces lois. Parmi les mesures qui organisaient la chasse aux Juifs, on trouvait celles se rapportant à " l'aryanisation " de l'économie, qui prévoyait la récupération de tous les biens des Juifs, avoirs bancaires, actions, oeuvres d'art. L'Etat s'intéressa surtout aux plus fortunés d'entre eux, laissant le pillage des biens des plus démunis aux pilleurs privés. Les statistiques officielles, qu'avec bien du mal la mission Mattéoli a pu mettre à jour, ne rendent donc compte que de la partie officiellement recensée de ces opérations.

Malgré tout, le recensement officiel fait état de 160 000 familles victimes des récupérations opérées qui figurent dans les registres. Plus de 700 millions de francs d'aujourd'hui ont été récupérés directement sur les Juifs internés dans les camps d'internement de l'administration française. Quant aux spoliations officielles, elles se monteraient, d'après la mission, à 8,8 milliards de francs. Les banques, les compagnies d'assurances, le Trésor public, la Caisse des dépôts et consignations, l'administration des Beaux-Arts et les musées ont chacun récupéré une part du butin. Non seulement sans état d'âme, comme le note la mission, mais souvent avec beaucoup de célérité. Ils ont fait la chasse aux Juifs et à leurs biens dans leur sphère et ont vite réalisé le bénéfice qu'ils pouvaient en tirer.

A la " Libération ", les mêmes, à quelques exceptions près, étaient toujours en place à la tête des banques, des compagnies ou de la Justice et de l'administration, aussi racistes, antisémites et anticommunistes qu'auparavant. La mission note que la période où eurent lieu les restitutions des biens spoliés à ceux qui étaient encore vivants marqua un coup d'arrêt en 1950. A partir de 1953 l'administration s'empressa de vendre tout ce qu'elle pouvait sur les biens qui lui restaient. Pour l'essentiel c'est le Trésor public qui récupéra ces ventes et aucune comptabilité n'en subsiste plus. A noter d'ailleurs que tous les avoirs bancaires inférieurs à mille francs de l'époque qui furent saisis sur les comptes des plus pauvres par les banques ou l'administration pour leurs bénéfices respectifs n'ont pas été recensés. Rapines ordinaires, en somme. En 1976 la Caisse des dépôts considérait qu'il y avait de toute façon déchéance des réclamations.

Pour les banques la mission Mattéoli note que : " La rapidité avec laquelle les mesures de spoliations ont été mises en oeuvre [...] ne laisse pas de poser des questions ", pour ajouter que, face aux demandes de la mission, " les banques et notamment la Banque de France, s'abritaient derrière le secret bancaire [...] Elles n'auraient jamais rien fait sans la pression ". Quant aux compagnies d'assurances qui ont récupéré nombres d'appartements grâce à cette " aryanisation ", encore aujourd'hui elles " n'ont pas étudié leur participation à la spoliation par achat d'immeuble et par restitution ".

C'est une image crue sur toute la société d'hier et d'aujourd'hui. On peut voir sans fioritures ce qu'est l'Etat de la " République ", avec ses flics, sa justice, son administration, ses hauts fonctionnaires. La carrière de Papon de Vichy à la cinquième République n'était vraiment pas une exception. Quant aux banquiers, assureurs, comme tous les faiseurs de profits, ils sont bien tels qu'en eux-mêmes, puants et répugnants.

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