Vers l'introduction de deux filiales en Bourse : EDF, secteur public et privé07/04/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/04/une-1656.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

Vers l'introduction de deux filiales en Bourse : EDF, secteur public et privé

Lors de la présentation du bilan annuel d'EDF, son président, Roussely, a annoncé son intention d'introduire en Bourse deux filiales d'EDF à l'étranger. C'est une première, jamais jusqu'alors il n'avait été question d'une façon ou d'une autre d'ouverture d'EDF aux capitaux privés.

Pour le moment, il est vrai, il s'agit d'une ouverture très limitée. Parmi les nombreuses filiales, deux d'entre elles seulement, EDF International qui chapeaute les activités d'EDF à l'étranger, et London Electricity en Grande-Bretagne, seraient concernées. Pour cette dernière le directeur financier a dit que cela pourrait prendre deux ans. Comme l'écrit dans un éditorial La Tribune, qui regrette que cela aille si lentement : il s'agit de " petits pas d'EDF ". Mais n'y a t-il pas que les premiers pas, même petits, qui coûtent ? Ajoutons qu'il faut que le gouvernement soit d'accord, puisqu'EDF est une société d'Etat, et qu'il est arrivé récemment que l'Etat s'oppose à une tentative d'EDF (il s'agissait de diversifier ses activités).

Depuis une quinzaine d'années EDF a acheté à tour de bras des sociétés d'électricité étrangères, au fur et à mesure qu'elles étaient dénationalisées et mises en vente. Son chiffre d'affaires à l'étranger est passé en un an de 12% à 18% du total , et Roussely souhaite que cela s'accélère. Il vise les 50% en 2005 !

Chose curieuse, c'est la crise économique qui a favorisé cette tendance. Avant la crise EDF dépensait - et pour cela empruntait - des centaines de milliards pour équiper le pays en centrales nucléaires. Il n'était pas question - et EDF n'avait pas les moyens - d'acheter quoi que ce soit à l'étranger, d'autant qu'il n'y avait pas grand-chose à vendre.

Avec la crise, la demande intérieure d'électricité a plafonné, on a donc ralenti puis cessé de construire des centrales nucléaires. EDF, suréquipée, a commencé à vendre énormément de courant aux pays limitrophes. Son endettement, encore considérable aujourd'hui, a cependant beaucoup baissé, et elle a eu les moyens d'acheter des sociétés électriques qui se présentaient sur le marché international juste à ce moment-là, quand est venue la grande vague de privatisations partout dans le monde.

On a donc une énorme société nationalisée française mais qui, dans les faits, est un trust qui se comporte exactement comme une multinationale privée à l'étranger, dans de nombreux pays d'Amérique latine, d'Europe centrale et orientale, de Scandinavie, en Angleterre... EDF est un patron comme un autre qui "rentabilise" sans état d'âme, jette du personnel sur le pavé, cherche les marchés les plus intéressants sans se soucier des "services publics" locaux, etc.

La seule chose qui manquait au tableau, c'est que ce trust soit ouvert aux capitaux internationaux. Et bien voilà qui va très probablement se faire. C'est en tout cas le souhait affirmé de la direction d'EDF.

Et pour la France ?

Il faut rappeler que lorsqu'EDF a été créée, en 1946, ce fut d'une part pour suppléer le secteur privé défaillant, incapable de reconstruire les centrales électriques vétustes et parfois dévastées par la guerre, et en même temps pour venir en aide à ce même patronat privé. Comment ? D'une part en fournissant à la demande d'énormes quantités d'électricité, et surtout de le faire à très bas prix pour les patrons. Les tarifs d'EDF sont publics, sauf que les contrats commerciaux avec les grandes entreprises sont protégés par le secret commercial. Mais c'est un secret de polichinelle que ces tarifs ont été, et sont toujours, extrêmement bas, et à la limite - voire sous la limite - du prix de revient. Ce sont les millions d'usagers qui payent pour les gros patrons (les artisans et moyens patrons étant tout de même moins favorisés).

EDF, société nationalisée, a été dès le départ avant tout une société au service du patronat en général, autant sinon plus qu'elle n'était au service du public.

Et ce qui est vrai pour EDF l'a été pour toutes les sociétés nationales, les chemins de fer, les banques, assurances, etc. et l'est toujours pour ce qui reste du secteur nationalisé.

Aujourd'hui, pour des raisons multiples, les Etats - et la France ne fait pas exception -, revendent ce que l'on appelait les "bijoux de famille", à la fois pour faire rentrer de l'argent dans les caisses, et pour faire participer les capitaux privés aux profits de ces entreprises, du moins de la partie d'entre elles qui est devenue rentable. Cette évolution de ce qui reste du service public risque, à terme, de réduire encore la part qui concerne les services rendus à la collectivité pour s'incliner devant la logique du marché et de la rentabilité à n'importe quel prix.

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