Lire : Mémoires d'un paysan bas-breton de Jean-Marie Déguignet07/04/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/04/une-1656.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

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Né en 1834 dans une famille de petits fermiers ruinés et chassés de leur village à la suite de récoltes catastrophiques, ce petit paysan des environs de Quimper ne semblait pas destiné à parcourir le monde, de la Crimée au Mexique en passant par la Palestine et la Kabylie. Il n'était pas dit non plus qu'il aurait à exercer " mille métiers, mille misères ", tour à tour vacher, sous-officier dans l'armée de Napoléon III, buraliste et apiculteur, amassant au fil des années le récit de ses aventures dans des cahiers d'écolier. C'est leur contenu qui est en grande partie publié dans ce livre, épais mais passionnant, même si Déguignet fait preuve parfois d'une misogynie acerbe et bien malvenue alors qu'il dénonce tant d'autres lamentables préjugés.

Ses premiers pas dans la vie, il les fit comme mendiant, courant de ferme en ferme, obtenant un fond de bouillie d'avoine ou un morceau de galette de sarrasin, ramenant ce qu'il pouvait à la maison pour ses frères et soeurs. Il était petit et pâlichon, un avantage certain pour apitoyer des paysans guère plus riches que sa famille. La mendicité était une nécessité et une véritable industrie pour des familles entières de paysans sans terre, chassés même de leur maison quand une mauvaise récolte ne leur permettait plus de payer le fermage au propriétaire. Et il n'y avait pas que la misère matérielle. L'analphabétisme était le lot de la grande majorité, beaucoup d'ailleurs ne voyant pas l'utilité de l'instruction. La malnutrition et le manque d'hygiène, causes de nombreuses maladies soignées à coups de prières, d'eau et de chandelles bénites, ou autres remèdes de charlatans, décimaient des familles entières.

Très jeune, Jean-Marie Déguignet ("l'écorché" en breton) prit conscience des injustices commises contre lui et ses proches. D'esprit ouvert et critique, il sentit qu'il n'y avait pas que la malchance, mais que l'organisation de la société était en cause. Tout se tient, conclut-il, les idées les plus répandues comme celles de la religion catholique avec ses superstitions et ses interdits, qui n'ont d'utilité que pour justifier toutes les inégalités et défendre des intérêts des propriétaires, des nobles et des riches. Engagé dans l'armée, il connut une première fois les horreurs de la guerre en Crimée et eut l'occasion d'accompagner un marchand arménien dans son pélerinage à Jérusalem, ce qui lui permit de décrire par le menu toutes les turpitudes et toutes les escroqueries des moines et des curés des diverses sectes chrétiennes " gardiennes des lieux saints " avant de livrer sa propre version de la vie de Jésus, tout aussi vraisemblable que les fables des Évangiles mais tellement plus drôle...

De retour au pays, ce libre penseur exerça bien des métiers, connut bien des revers de fortune, mais ne cessa jamais de s'opposer à sa façon à ceux qu'il considérait comme des parasites du genre humain, nobles propriétaires oisifs et leurs suppôts, curés menteurs. Il débusqua d'ailleurs les mêmes derrière l'Union régionaliste bretonne, " toute composée de nobles et de tonsurés ", " recommandant... de maintenir parmi les enfants la langue et les vieilles moeurs bretonnes... (car) tant qu'ils ne pourront lire que des livres bretons, qui ne sont que des livres religieux, ceux-ci resteront... dans les meilleures conditions possibles pour être exploités sur toutes les coutures ".

Des Mémoires souvent drôles et pas du tout dans l'air du (mauvais) temps où il est de bon ton d'aduler les superstitions religieuses et les chauvinismes locaux.

Alain Valler

Mémoires d'un paysan bas-breton, de Jean-Marie Déguignet (1834-1905), Editions An Here, 461 p., 120 francs

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