Serbie-Kosovo : Un an après l'agression impérialiste, le fiasco sanglant de la paix impérialiste31/03/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/03/une-1655.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Serbie-Kosovo : Un an après l'agression impérialiste, le fiasco sanglant de la paix impérialiste

Un an après le déclenchement de l'offensive de bombardements de l'OTAN contre la Serbie et sa province du Kosovo, dans la nuit du 24 au 25 mars 1999, les fameuses " frappes aériennes " de l'OTAN sont, aujourd'hui, plus difficiles à justifier avec des camouflages humanitaires. Et d'abord : sauver la population albanophone chassée de son pays par les forces militaires et paramilitaires serbes ? Mais la question se pose : aurait-elle été chassée aussi massivement, dans des délais aussi brutaux, dans des conditions aussi épouvantables, sans la campagne de bombardements lancée par la plus grande coalition militaire du monde ?

L'infamie de l'épuration " ethnique " patronnée par les dirigeants impérialistes

Certes, l'armée et les milices de Belgrade n'avaient pas attendu les dirigeants occidentaux pour pratiquer ce que leurs idéologues ont appelé la " purification ethnique ". Elles en avaient fourni les pires preuves pendant quatre années en Croatie, et surtout en Bosnie, avec quelque 200 000 morts et quelque trois millions de personnes " déplacées ". Elles avaient montré de quoi elles sont capables y compris au Kosovo au cours des affrontements de l'année 1998 avec les guérilleros nationalistes albanais de l'UCK, en tuant, en brûlant et rasant des villages, au prix de 2000 à 3000 morts et de 200 000 personnes chassées de leurs foyers.

Mais justement, pendant toutes ces années-là, de 1991 à 1998, toutes les grandes puissances s'étaient lavé les mains de ce qui se passait dans l'ex-Yougoslavie. Elles s'étaient bornées à patronner les accords passés entre Tudjman, le nationaliste croate, et Milosevic, le nationaliste serbe (le plus puissant des deux) - des accords connus de tous depuis au moins mars 1991, en vue du partage entre eux de la République de Bosnie- Herzégovine. Ces accords impliquaient les transferts forcés de populations et les massacres, afin d'" homogénéiser " les territoires reconnus aux cliques nationalistes rivales. Toutes les chancelleries occidentales étaient aussi conscientes de ces conséquences-là que les bandits locaux.

Une population serbe vivait depuis des siècles en Krajina ; depuis des siècles, la population de la Bosnie-Herzégovine était composée de Bosniaques plus ou moins musulmans, de Serbes, de Croates, etc. Toute la Yougoslavie était constituée de peuples entremêlés. Les séparer afin de former des fiefs ethniquement " homogènes " au profit de cliques assoiffées de biens et de pouvoir, exploitant sans vergogne depuis la mort de Tito des démagogies micro-nationalistes rivales, une telle opération ne pouvait que passer par une oeuvre de mort.

A chacune des étapes - depuis les conquêtes serbes sur le dos de la Croatie, comme la Krajina, jusqu'à l'abandon de ces mêmes conquêtes dans le cadre des tractations précédant immédiatement le règlement de Dayton de novembre 1995 sous les auspices des États-Unis, et ces tractations incluaient l'abandon délibéré aux massacreurs serbes des enclaves musulmanes-bosniaques en Bosnie orientale -, chaque fois les diplomates occidentaux ont patronné pourtant le remodelage criminel imposé dans l'ex-Yougoslavie en taillant dans la chair même des peuples.

Milosevic était alors l'interlocuteur officiel des dirigeants impérialistes, reconnu, reçu, indispensable, en tant que patron de la plus puissante des bandes armées sévissant sur le territoire. Non seulement il était persona grata mais les accords de Dayton l'assuraient de l'impunité pour ce qui concernait " sa " province asservie du Kosovo, où le problème de la population albanophone majoritaire fut laissé à sa discrétion en tant que " problème intérieur serbe ".

Si bien que, pendant les années 1997-98 qui suivirent, lorsqu'une résistance armée apparut au sein de cette population opprimée, discriminée, les dirigeants serbes ont conservé le feu vert des dirigeants impérialistes pour mener leur sale politique et leur sale répression contre cette résistance et la population albanaise-kosovare au nom du nationalisme serbe. Là encore, le feu vert était tout à fait conscient. Ce n'était pas pire, mais c'était une continuité prévisible, et annoncée par beaucoup depuis le début du démembrement de la Yougoslavie.

De la complicité à l'opération punitive

Alors, quand au tournant des années 1998-1999 les dirigeants des grandes puissances ont décidé tout à coup de faire donner leur bras armé, l'OTAN, pour se retourner à coups de bombes contre la Serbie, de sataniser Milosevic comme ils l'avaient fait de Saddam Hussein, ils ont éprouvé le besoin de monter une mise en scène et une sinistre farce pseudo-humanitaire pour se justifier. Et c'est le malheureux sort de la population albanophone du Kosovo qui leur a servi d'aliment et de prétexte.

En réalité, ils n'en avaient pas plus cure que du sort des populations de Bosnie précédemment, ou de celui de cette même population albanaise-kosovare jusque-là.

Pour quelles raisons ?

Les raisons réelles de cette décision guerrière subite ne seront sans doute pas complètement élucidées avant longtemps. Depuis un an, des explications ont été parfois avancées, d'ordre géostratégique : l'impérialisme américain voulant assurer son emprise sur l'Europe du Sud-Est, des chefs militaires désemparés à la suite de la disparition de l'ennemi soviétique et à la recherche de bancs d'essai pour leurs armements et leurs stratégies, le désir d'affirmer la suprématie militaire des Etats-Unis sur l'Europe... Certes, tout cela a pu jouer, mais la volonté politique, non seulement celle des dirigeants américains mais aussi celle de leurs complices à la tête des puissances européennes unanimes, elle, a été largement passée sous silence.

Pourtant, la volonté d'avertissement, de la part des plus forts dans la jungle du monde capitaliste, vis-à-vis des peuples comme des petits chefs locaux, n'est pas chose nouvelle. Aux temps coloniaux, c'était la politique de la canonnière mais, même si le monde est devenu aujourd'hui plus compliqué, l'impérialisme obéit aux mêmes lois : il tient à administrer la leçon du plus fort, à ramener dans le rang ses sous-fifres régionaux quand il les juge trop indociles à ses desiderata, trop tentés de se montrer arrogants envers lui - comme c'était sans doute le cas de Milosevic.

L'impérialisme tient toujours à démontrer à la face du monde qu'il reste, en dernière analyse, le seul maître de la destinée des peuples, dans les Balkans comme ailleurs, par la terreur si besoin est. Comme il l'avait démontré en Irak, comme il l'a montré en Yougoslavie à l'intention de toute la région, en détruisant son potentiel économique, en s'en prenant avant tout aux cibles civiles.

Il est significatif que cette guerre ait, en même temps, ménagé l'armée serbe, qui en est sortie indemne, tant dans son matériel de base que dans la personne de ses grands chefs.

En tout cas, dès lors que les dirigeants impérialistes ont voulu mener leur guerre et l'ont décidée, ils sont passés aux actes. Les fameuses discussions de Rambouillet n'ont été qu'un leurre, et elles se sont terminées sur un ultimatum de dernière minute, tel que les dictateurs de la Serbie ne pouvaient pas l'accepter. La teneur des annexes militaires du prétendu " accord " de Rambouillet l'a bien révélé par la suite.

Mise en scène humanitaire

La " paix " qui est sortie de l'accord conclu à Kumanovo en juin 1999 et de la résolution 1244 de l'ONU a clairement montré depuis, même aux plus naïfs sans doute, que l'objectif officiel de " sauver le peuple albano-kosovar ", de rétablir un " Kosovo multi-ethnique ", n'était dès le départ que poudre aux yeux, un élément du décor.

En fait, pouvait-on sincèrement attendre un tel objectif de la part des bandits impérialistes ? Les médias aux ordres, les admirateurs béats des galonnés, les larbins enniaisés par leur conformisme devant les puissants, les intellectuels incapables de se dépêtrer des divers fatras nationalistes qu'on leur propose ou qu'ils se chargent d'exhumer eux-mêmes, ont pourtant accompagné le choeur des chantres de l'agression de l'OTAN et de l'ONU. Mais ce sont les peuples du Kosovo, de la Serbie, du Monténégro, de toute la région, qui en paient aujourd'hui le prix.

Le peuple serbe a été rendu responsable collectivement des crimes de l'infâme Milosevic, tandis que celui-ci s'accroche toujours fermement au pouvoir, avec une prétendue opposition qui n'a pas d'autre programme.

Que l'agression impérialiste n'ait fait qu'empirer l'" épuration " ethnique au Kosovo durant les mois des bombardements, cela aujourd'hui, même des observateurs officiels européens le reconnaissent. Mais encore, le mépris envers les aspirations des peuples a été porté au comble par l'intervention et ses suites. Certes, la plupart des réfugiés sont revenus, mais dans quel pays ? Le Kosovo est divisé en zones d'occupation militaire étrangère ; l'Albanie et la Macédoine ont servi, là encore sous des prétextes humanitaires, de base arrière à l'intervention. Et la population albanophone du Kosovo n'a pas eu plus voix au chapitre qu'auparavant. L'indépendance pour laquelle elle a cru qu'on venait à son secours ne lui a pas été reconnue, elle est toujours officiellement dépendante de la Serbie. L'économie est une économie de misère, un mélange d'assistance humanitaire et de trafics en tous genres. Un exemple de ce que les peuples peuvent attendre des impérialistes : au bout d'un an, 2500 habitations auraient été reconstruites grâce à l'aide internationale, sur un total de 54 000 détruites et 50 000 très endommagées... (chiffres indiqués par Libération).

Il n'y a pas à être surpris, dans ces conditions, de ce que la tension soit permanente et générale dans la province. Les Serbes et les Roms qui n'en sont pas partis de gré ou de force sont réduits à survivre dans des enclaves approvisionnées directement en biens, en salaires, en propagande et en miliciens, par Belgrade. Tandis que les foyers d'affrontements se multiplient, sans oublier les pressions de l'armée de Belgrade qui s'accentuent contre le Monténégro. Les nationalismes ne s'en retrouvent qu'attisés, y compris dans les rangs albanais où, au nouveau " nettoyage " ethnique en cours, se joint une politique d'intimidation et de menaces de la part de l'UCK à l'encontre des albanophones qui osent défendre la coexistence entre les peuples.

Le Kosovo est une poudrière, plus explosive que jamais, que la couverture " humanitaire " d'un Bernard Kouchner ne parvient plus à masquer, lui qui ne sait, pour justifier le fiasco, qu'invoquer encore une fois les prétendues " haines séculaires entre les peuples balkaniques ".

Un bilan de faillite

Bien sûr, les responsables occidentaux se disent, à l'image de l'américaine Madeleine Albright, " fiers " de ce qui a été fait au Kosovo. De leur part, il ne peut en aller autrement. Mais il se trouve aussi de nombreux intellectuels, français ou autres, comme l'écrivain albanais Ismaïl Kadaré, par exemple, pour justifier les bombardements de l'OTAN parce que, grâce à eux, " un peuple entier " serait " devenu libre "... Quelle misérable " liberté " est-ce là ?

Il y aura des élections à l'automne prochain, mais " peut-être ", et à l'échelle municipale seulement. Tandis que, et là c'est concret, des manoeuvres militaires de l'OTAN sont prévues dans les jours qui viennent sur le territoire - afin, sans doute, que nul n'oublie qui est le maître.

Alors, il est peut-être utopique d'espérer que se forgera, dans les temps à venir, une nouvelle coexistence fraternelle entre les peuples de la région, à travers une lutte solidaire des classes laborieuses de toutes origines pour leur émancipation sociale. Mais cela reste la seule solution d'avenir, et elle est moins utopique, en fin de compte, que celle qui consiste à implorer des puissances impérialistes la fin d'une oppression dont elles sont les principales responsables.

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