Ile de la Réunion : Trois milliards et demi pour les petits... et grands patrons03/03/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/03/une-1651.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

Ile de la Réunion : Trois milliards et demi pour les petits... et grands patrons

En annonçant avec cynisme que les RMIstes réunionnais pouvaient bien attendre encore cinq ans avant d'être traités à égalité avec leurs compagnons de misère de la métropole, Jean-Jacques Queyranne, le secrétaire d'Etat aux DOM, a fait savoir que les plus pauvres n'étaient pas sa priorité.

La priorité, pour les ministres, ce ne sont pas ceux qui doivent survivre avec 2 000 F par mois, ce n'est pas l'ouvrier payé au SMIC ou aux deux tiers du SMIC, ce n'est pas non plus celui ou celle qui se demande de quoi demain sera fait parce que son contrat de travail n'est que de quelques mois ou de quelques semaines. Non, le souci de Queyranne et du gouvernement est de permettre aux patrons de s'enrichir rapidement.

A cette fin, Queyranne vient d'annoncer que, dans les DOM, les patrons seraient dorénavant exonérés à 100 % de leurs cotisations sociales. Cela concernerait les entreprises de moins de 11 salariés pour tous les salaires inférieurs à 1,3 fois le SMIC. Ce cadeau gouvernemental s'élèverait à 3,5 milliards de francs par an pour la seule Réunion, soit trois fois plus que l'aide versée en 1999. La plupart des patrons seraient concernés : ceux de l'hôtellerie, de la restauration, de la pêche, de la presse, de l'audiovisuel, de l'industrie... En revanche, les patrons du bâtiment ne pourront bénéficier du même avantage qu'à hauteur du tiers des autres secteurs. Les pauvres !

Comme à chaque fois que la manne gouvernementale déverse généreusement ses subventions dans les poches patronales, c'est l'emploi qui sert de justification. Mais si cette politique d'aides multiformes via les subventions, les exonérations, les dégrèvements d'impôts avait un quelconque effet sur l'emploi, depuis le temps cela se saurait. La précédente loi Perben qui, à la Réunion, exonérait chaque année le patronat de plus d'un milliard de francs de cotisations sociales, n'a nullement enrayé la montée du chômage qui touche aujourd'hui près de 40 % de la population active. Le patronat a empoché, des travailleurs ont été débauchés car il n'y a jamais eu de lien entre les aides que l'on donne aux patrons et la volonté de ces derniers d'embaucher.

D'ailleurs, Queyranne le sait fort bien. Interrogé sur Télé-Réunion, il a simplement dit espérer que son dispositif servirait à l'emploi. Espérer ! Aurait-il un doute à ce sujet ? Et comment compte-t-il vérifier que les sommes rondelettes qu'il s'apprête à donner aux patrons serviront bien à créer des emplois ?

Mais cette fois-ci, argue Queyranne, ce sont les petits patrons qui sont aidés : politique de gauche oblige. Mais est-ce là une garantie pour les travailleurs et les chômeurs ? Aucunement ! D'abord, bien des petits patrons ne sont pas à plaindre. Mais surtout, afin de pouvoir bénéficier d'une exonération totale des cotisations sociales, la mesure gouvernementale risque d'inciter de nombreux patrons à se débarrasser des salariés les mieux payés pour les remplacer par de nouveaux travailleurs payés au SMIC, ou juste au-dessus. Quant aux gros patrons, même s'ils n'apparaissent pas concernés, ils tireront eux aussi leur épingle du jeu. Ils exerceront des pressions plus fortes pour tirer vers le bas le prix de leurs sous-traitants qui sont souvent des petits entrepreneurs, récupérant ainsi et pour eux-mêmes tout ou partie des aides. Et comme ils le font déjà, ils créeront de petites filiales, ce qui leur permettra de bénéficier directement des largesses gouvernementales. Et ainsi, des mesures prétendument destinées à aider les petits patrons, arroseront tout aussi bien les plus gros.

Pour développer ou sauvegarder l'emploi, c'est d'une tout autre politique que la classe ouvrière a besoin, travailleurs et chômeurs confondus. Cette politique consisterait à prendre sur les bénéfices des grosses entreprises pour financer de nouveaux emplois ; à contrôler leur comptabilité, ainsi que celle de leurs principaux dirigeants, lorsque se profilent des mesures de licenciements, afin de vérifier quels sont les fonds disponibles et quelle utilisation pourrait en être faite. Cette politique consisterait à cesser de subventionner le patronat et à utiliser l'argent rendu disponible afin que l'Etat crée lui-même des emplois dans les services publics. Et à la Réunion, comme ailleurs, ce ne sont pas les besoins qui manquent, en particulier dans le logement, les transports, la santé, l'éducation...

Évidemment, cette politique ne pourra être appliquée que si la classe ouvrière la fait sienne. Car il est bien sûr hors de question d'imaginer, au vu de la politique propatronale menée par le gouvernement de la gauche plurielle, que celui-ci fasse un pas dans cette direction sans y être contraint.

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