Vive les manifestants de Vienne !25/02/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/02/une-1650.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Editorial

Vive les manifestants de Vienne !

Au lendemain de la manifestation qui a réuni à Vienne plus de 150 000 personnes protestant contre l'entrée du parti de Jörg Haider dans le gouvernement autrichien (c'est le chiffre de la police, et il n'est sûrement pas surévalué !), le chancelier Schüssel a déclaré au Figaro : " Ce ne sont pas les défilés dans les rues qui remettront en cause le verdict de la démocratie. "

Les défilés dans les rues ne suffiront peut-être pas à faire tomber le nouveau gouvernement autrichien. Mais quand Schüssel parle du " verdict de la démocratie " pour justifier son alliance avec un parti ouvertement raciste et xénophobe, dont le leader a maintes fois exprimé son admiration pour la " politique sociale " de Hitler, et quand Le Figaro reprend complaisamment ses propos, ils se moquent tous deux du monde.

Car quel que soit le nombre de voix obtenues par le parti de Haider (et après tout, trois Autrichiens sur quatre n'ont pas voté pour lui), ceux qui ont manifesté à Vienne samedi ont eu raison de le faire. Comme ceux qui dans tous les pays d'Europe ont manifesté au même moment leur solidarité avec les manifestants autrichiens.

De nombreux commentateurs, historiens, ou politiciens, ont de ce côté-ci du Rhin reproché au peuple allemand d'avoir laissé en son temps Hitler arriver au pouvoir sans réagir, en soulignant le fait qu'il y serait parvenu tout à fait constitutionnellement. Cette installation " constitutionnelle " du pouvoir hitlérien n'est d'ailleurs vraie que si on tient pour " constitutionnelle " la répression qui s'est abattue sur la classe ouvrière allemande et ses organisations politiques et syndicales en janvier 1933, quand Hitler, minoritaire en voix dans le pays, a été nommé chancelier grâce à l'appui de l'ensemble des partis de droite. Car ce n'est qu'après que les organisations ouvrières furent brisées que les nazis ont pu recueillir la majorité absolue des voix dans des élections.

Les camps de concentration qui se multiplièrent en Allemagne après l'arrivée de Hitler au pouvoir, et où furent jetés pêle-mêle communistes, socialistes, syndicalistes et ouvriers contestataires, bien avant que la répression ne se déchaîne contre la population juive, sont la preuve que tous les Allemands n'étaient pas derrière Hitler comme tous les Autrichiens ne sont pas derrière Haider et Schüssel.

Haider n'est sans doute pas Hitler, parce que la situation de l'Autriche de 2000 n'est pas celle de l'Allemagne de 1933. Mais ceux qui craignent de voir le nouveau gouvernement autrichien s'engager dans une politique plus ouvertement antiouvrière, plus réactionnaire, ont raison de s'inquiéter et de ne pas attendre que ce gouvernement se soit mis à l'oeuvre pour faire entendre leur protestation.

La " démocratie ", telle que l'entendent les classes privilégiées de cette société, c'est le fait que les travailleurs, les opprimés, n'ont qu'à supporter leur sort en silence si les urnes ne leur ont pas donné satisfaction. Ce qui n'empêche pas ces mêmes classes dominantes de s'asseoir sans hésitation sur leur propre légalité quand elles le jugent utile. On ne compte plus les pays où la bourgeoisie a fait appel à une dictature militaire pour défendre ses privilèges. Et si nous vivons dans un régime parlementaire, cette Ve République est née, en 1958, d'un coup d'Etat que de Gaulle a couvert sans sourciller.

C'est pourquoi les travailleurs ne doivent pas être dupes des discours qu'on leur sert sur la démocratie quand ceux-ci visent à justifier tout le contraire de la démocratie. La démocratie, cela ne consiste pas pour la minorité à accepter sans sourciller la dictature de la majorité. Quand il s'agit de lutter contre l'exploitation, contre l'oppression, contre les idées réactionnaires, de défendre les libertés démocratiques, ce sont ceux qui se battent, même s'ils sont minoritaires, qui ont le droit et la raison pour eux. S'il n'y avait pas eu, tout au long de l'histoire, des femmes et des hommes pour mener ces combats, personne ne pourrait d'ailleurs parler aujourd'hui de libertés démocratiques.

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