Russie : Eltsine passe la main à Poutine07/01/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/01/une-1643.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie : Eltsine passe la main à Poutine

Le 31 décembre, Eltsine décidait d'abandonner la présidence de la Fédération de Russie et de nommer président par intérim son Premier ministre Poutine. Cela faisait déjà des mois qu'il guettait une occasion de passer la main.

Largement discrédité dans la population, n'ayant qu'un pouvoir de plus en plus contesté au sein de la caste dirigeante, il aurait, selon les rumeurs, engagé des pourparlers en ce sens avec les clans du pouvoir russe après l'effondrement financier d'août 1998, négociations n'ayant pas abouti.

En effet, le problème d'Eltsine et de son clan rapproché, " la Famille ", n'était pas de trouver un remplaçant au président en titre - de ce côté-là, c'était le trop-plein - mais que ce dernier offre assez de garanties au partant et à son entourage.

Après le krach de 1998, le Premier ministre Primakov aurait ainsi proposé une immunité judiciaire à Eltsine, qui aurait mis hors d'atteinte de la justice les sommes fantastiques accumulées par la Famille durant les deux mandats présidentiels d'Eltsine. Mais, visiblement, le clan Eltsine n'a pas eu confiance : Primakov avait été imposé comme Premier ministre par une Douma (Chambre des députés) dominée par des partis et clans opposés au Kremlin. On l'avait bien vite constaté quand Primakov avait laissé la bride sur le cou à la presse pour révéler d'énormes scandales de détournements de fonds et de blanchiment d'argent dans lesquels Eltsine et son entourage ont fait fortune, et aux juges pour ouvrir des enquêtes à ce sujet. Des mandats d'arrêt avaient même été signés contre des membres de la Famille, dont l'affairiste et conseiller d'Eltsine, Berezovski. Dans cette ambiance de fin de règne, la Douma lança la procédure de destitution d'Eltsine. Faute d'avoir voulu l'empêcher, Primakov fut renvoyé par Eltsine.

Son successeur, Stépachine, ne fit qu'un passage éclair au poste de Premier ministre. Il n'avait pas réussi, lui, à empêcher que deux des principaux clans du pouvoir (ceux de Primakov et du maire de Moscou, Loujkov) ne s'unissent et ne se positionnent pour emporter (tous les sondages le pronostiquaient) le scrutin législatif de mi-décembre. Cela aurait placé le tandem Primakov-Loujkov en situation de gagner la toute prochaine élection présidentielle et de demander des comptes, au propre comme au figuré, à un clan Eltsine qu'il aurait chassé du pouvoir.

Nommé Premier ministre en août dernier pour sauver la mise à la Famille, Poutine y aura apparemment réussi. Dès sa prise de fonctions, il entreprit de préparer la guerre contre la Tchétchénie, guerre conçue comme une vaste entreprise de diversion. Il s'agissait, et de détourner l'attention de l'opinion publique en expédiant aux oubliettes les révélations de la presse sur les turpitudes du clan Eltsine, et de forcer la main aux autres clans du pouvoir, à l'origine de ces campagnes médiatiques, en les obligeant à se montrer solidaires du pouvoir central au nom d'une prétendue lutte contre le " terrorisme tchétchène ".

La campagne militaire déclenchée par Eltsine-Poutine prit le pas sur la campagne électorale. Et, sans grande surprise, le " parti du président " remporta les législatives puisqu'il apparaissait comme le parti de la guerre, une guerre soutenue par tous les partis et clans de la bureaucratie dirigeante au nom du " patriotisme ". Disposant désormais d'une majorité hétéroclite mais suffisante à la Douma et d'un Premier ministre auréolé de sa victoire militaro-électorale, Eltsine pouvait respirer.

Il pouvait démissionner et introniser son successeur avec le moins de risques possible, d'autant que, dans la foulée, il raccourcissait au maximum les délais d'ici au scrutin présidentiel afin d'offrir un maximum de chances à son poulain d'être élu, et donc confirmé à son poste, en profitant de la situation actuelle.

Bien sûr, si la guerre en Tchétchénie s'enlise, si le nombre des soldats russes tués au front augmente, rien ne dit que l'opinion publique ne se retournera pas contre Poutine. C'est pour cela qu'Eltsine a avancé de trois mois la date de l'élection présidentielle, en espérant que, d'ici là, la guerre n'aura pas sapé la popularité relative de Poutine auprès d'une partie de l'électorat.

Mais un tiens vaut mieux que deux tu l'auras : c'est dès sa prise de fonctions que le président par intérim a promulgué un décret garantissant l'immunité judiciaire à vie au président sortant contre tout risque d'arrestation, fouille, perquisition et interrogatoire dont lui et ses proches auraient pu être l'objet. Avec cynisme, Poutine avouait ainsi en quelque sorte n'avoir été choisi que pour assurer l'impunité aux voleurs se trouvant au pouvoir. Et pour en arriver là, pour sauver les 15 milliards de dollars détournés qu'Eltsine aurait sur des comptes rien qu'en Suisse (à en croire ce que révèle l'hebdomadaire américain Newsweek), il aura fallu au clan au pouvoir précipiter la Tchétchénie - et les fils des travailleurs de Russie - dans l'horreur d'une nouvelle guerre.

Partager