Poutine table sur la guerre de Tchétchénie pour assurer la succession d'Elstine07/01/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/01/une-1643.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

Poutine table sur la guerre de Tchétchénie pour assurer la succession d'Elstine

De Clinton à Chirac, en passant par Blair et Schröder, les chefs d'Etat ou de gouvernement des principales grandes puissances ont tenu à féliciter Eltsine pour le " démantèlement du régime communiste " et " l'enracinement de la démocratie " qui serait à leurs yeux le bilan essentiel de ses huit ans de règne à la présidence de la Russie, qu'il vient d'abandonner, le 31 décembre, avec six mois d'avance au profit de son Premier ministre.

Côté démocratie, les dirigeants des grandes puissances ont vite fait d'oublier la dissolution à coups de canon du parlement en 1993 ou la première guerre de Tchétchénie qui a fait quelques 80 000 morts de décembre 1994 à l'été 1996. Et ils ferment volontairement les yeux sur l'actuelle guerre, les bombardements des villes tchétchènes et les exodes de population qui s'en suivent. Le monde impérialiste n'a pas de raison d'être plus regardants vis-à-vis de la Russie, depuis qu'elle est retournée dans son giron, qu'il ne l'est vis à vis des régimes dictatoriaux d'Afrique, d'Amérique Latine ou d'Asie. Et ses dirigeants sont aussi prompts à pardonner les crimes actuels d'Eltsine et Poutine qu'ils l'étaient à dénoncer, sous l'étiquette de " crimes du communisme ", ceux de la bureaucratie russe sous Staline ou Brejnev.

Le satisfecit qu'ils donnent à celui qui a dirigé la Russie depuis fin 1991 n'est pas une simple formule de politesse : ils lui doivent une fière chandelle. C'est son prédécesseur, Gorbatchev qui a négocié le largage par l'URSS des pays du glacis, restauré la propriété privée, mis fin à la planification et légalisé la liberté de commerce et d'entreprise. Mais c'est à Eltsine qu'ils doivent la réalisation des grandes fournées de privatisation des entreprises d'Etat, où les capitaux occidentaux ont commencé à s'investir. C'est sous son règne que se sont bâties les plus grosses fortunes de la nouvelle bourgeoisie russe, que se sont constitués les grands groupes financiers qui dominent aujourd'hui l'économie russe, dont les maîtres, pour la plupart issus des hautes sphères de l'ancienne bureaucratie d'Etat, possèdent les grands journaux ou les chaînes de télévision et dominent en grande partie la vie politique du pays.

La production en Russie s'est effondrée de plus de 40 % pendant ces mêmes années. Le chômage y fait des ravages. Les pensions des retraités ont fondu, et ceux qui ont un travail attendent pendant des mois des payes qui ne viennent pas ou sont déjà largement amputées par la dévaluation du rouble lorsqu'elles sont enfin versées. Mais ce n'est pas cela qui peut gêner cette nouvelle bourgeoisie russe qui a fait fortune par le pillage de l'industrie d'Etat et l'appauvrissement de la population, pour qui les activités de loin les plus rentables restent celles liées à l'exportation du pétrole et autres matières premières du pays et qui s'empresse d'accumuler une bonne partie de ses gains dans des banques suisses ou américaines, ou de l'investir dans des affaires à l'étranger. Tout comme cela n'a pas empêché les capitaux occidentaux de trouver déjà à se placer dans le commerce ou les activités telles que la restauration des infrastructures (téléphonie ou autre), dans l'exploitation des matières premières et la prospection pétrolière ou d'effectuer des placements à court terme mais hautement rentables dans les emprunts d'Etat russes.

" La Russie doit entrer dans le nouveau millénaire avec de nouveaux hommes politiques ", a déclaré Eltsine en annonçant sa démission. C'était surtout une façon de donner un coup de patte aux autres candidats potentiels à la présidence, et de propulser son dauphin, dont le premier décret présidentiel a été de mettre Eltsine à l'abri de toute poursuite judiciaire pour corruption. Mais si Vladimir Poutine n'est connu du grand public que depuis sa nomination surprise, en août dernier, au poste de Premier ministre, cet ancien chef des services secrets, n'est pas beaucoup plus neuf que les autres dirigeants russes au service desquels il a grandi.

En comparaison d'eux, à en croire la presse, le nouveau venu, Poutine serait devenu l'homme politique le plus populaire de Russie. Ce serait cette seconde guerre de Tchétchénie qu'il a entamée à l'automne dernier qui aurait réussi ce miracle. La guerre a probablement permis à Poutine de faire taire les critiques de ses opposants, d'aligner derrière lui, au moins sur le terrain du soutien à la guerre, les journaux et chaînes de télévision, quel que soit le groupe qui les contrôle, et de rallier à lui une partie des chefs militaires. C'est vraisemblablement plus cela qu'une popularité nouvelle qui a valu à Poutine un succès aux dernières élections législatives. Eltsine et son entourage ont donc choisi de pousser l'avantage en avançant l'élection présidentielle à mars au lieu de juin. Mais qu'en sera-t-il dans trois mois ?

Les querelles entre les candidats au pouvoir et les coteries qui les soutiennent ne peuvent que s'accélérer. Mais surtout le prolongement de la guerre de Tchétchénie, avec ses morts des deux côtés, y compris parmi les soldats russes, avec en prime les abus et la corruption des officiers, pourrait bien finir par coûter cher à son principal promoteur.

La colère de la population laborieuse de Russie aussi bien contre cette sale guerre que contre l'accroissement de la misère dont elle est victime, c'est bien le seul souhait que l'on puisse faire pour la Russie en ce début d'année.

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