Voir : " The big one ", de Michael Moore19/11/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/11/une-1636.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Divers

Voir : " The big one ", de Michael Moore

Il y a dix ans, Michael Moore épinglait dans Roger et moi le PDG de la General Motors, au moment où celui-ci fermait ses usines de Flint, aux États-Unis réduisant à la misère des milliers de travailleurs et, au-delà, toute une ville et une région, alors même que GM restait l'un des trusts qui paradait en tête des sociétés les plus riches du monde.

Avec The Big One, qu'on peut traduire par " Le plus gros " c'est un échantillon représentatif du patronat américain qui est sur la sellette. Profitant d'une tournée de promotion de son livre Dégraissez-moi ça, au travers des Etats-unis, il décide de traquer les gros patrons locaux, en leur posant une question toute simple : " Pourquoi licenciez-vous alors que vous faites des bénéfices ? "

Ces Etats-Unis que nous montre Michael Moore sont fort différents de ceux dont des journalistes nous répètent qu'ils ne connaissent plus le chômage, confondant allégrement les statistiques officielles et la réalité. C'est l'Amérique des travailleurs de l'usine de barres chocolatées " Pay Day ", licenciés pour certains après 50 ans d'usine et dont l'entreprise fait 120 millions de bénéfices. C'est celle du fabricant de pièces automobiles " Johnson Controls " qui ferme son usine de Milwaukee dans le Wisconsin pour aller produire au Mexique où les salaires sont dix fois moins élevés, celle du trust de la lessive " Procter and Gamble ". Une Amérique qui ressemble finalement comme une soeur à la France de Michelin. En plus grand.

Là-bas aussi sévissent les " responsables en relations humaines ", que les gardiens appellent à la rescousse dès que débarquent les caméras et qui, avec des sourires coincés, lâchent quelques phrases stéréotypées dans l'espoir de se débarrasser du gêneur. Et les patrons, quand on arrive à les voir, ont les mêmes mots pour tenter de justifier l'injustifiable, la misère dans laquelle on a vu l'instant d'avant qu'ils plongeaient les travailleurs qui leur ont permis d'accumuler des bénéfices. Tout comme ici, en France, ils parlent de la nécessité de faire davantage de profits, de la lutte contre la concurrence, de l'intérêt des actionnaires.

Ces PDG, Michael Moore les apostrophe en maniant l'humour et une dérision décapante, leur offrant ici, le diplôme du meilleur licencieur, proposant ailleurs un chèque de 80 cents pour payer la première heure de travail d'un ouvrier mexicain dans une usine qui délocalise, ou un billet d'avion vers l'Indonésie au PDG de Nike pour aller y visiter les usines où se fabriquent les chaussures de sport du même nom. Le PDG de Nike, justement, a trouvé malin d'accepter l'interview (ce serait, paraît-il, un ancien soixante-huitard qui a su passer dans le camps des capitalistes de haut vol et qui en aurait, dit-on dans les gazettes, une fausse mauvaise conscience). Mal lui en a pris car, acculé à se défendre, il ne trouve comme réponse, quand on l'accuse d'exploiter des enfants du Tiers Monde, que ce n'est pas à 12 ans mais à 14 que les enfants travaillent dans ses usines indonésiennes...

Tous ces méfaits du capitalisme, Michael Moore les révèle, tout en montrant sa solidarité avec les travailleurs qui en sont victimes. On le voit par exemple débarquer avec des mères de famille sans emploi pour nettoyer le bureau d'un gouverneur qui a déclaré que " les Américains ne voulaient pas faire de travaux salissants ". Il ne cache pas sa sympathie pour ceux qui essayent de résister face à un patronat que rien n'arrête, que ce soit lorsqu'il va à la rencontre de travailleurs qui luttent pour s'organiser syndicalement, ou qu'il évoque le souvenir de son oncle, ouvrier de General Motors, qui a participé aux grandes luttes ouvrières à Flint dans les années 1936-1937, le seul moment où, dit-il, la vie a été améliorée pour les travailleurs.

Sous ses allures de Coluche, et un cabotinage délibérément cultivé, Michael Moore a réussi un film à la fois drôle et décapant, qui met le doigt sur l'attitude révoltante des patrons. Ces patrons sont Américains, mais ce que ce film montre aurait tout aussi bien pu être filmé ici, en France, à Clermont-Ferrand, chez Michelin, ou dans les sièges sociaux de La Défense, dans la proche banlieue parisienne. Et même si le film se limite à la dénonciation - son auteur s'en explique d'ailleurs dans de nombreuses interviews, en expliquant que ça n'est qu'un film et qu'il n'est qu'un cinéaste - il est singulièrement efficace.

Dommage que ce film ne passe, pour le moment, que dans un seul cinéma, à Paris, en version originale sous-titrée. Mais même dans ces conditions, saisissez l'occasion de le voir.

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