Maroc : La monarchie ravale sa façade et les capitalistes français font des affaires19/11/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/11/une-1636.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Maroc : La monarchie ravale sa façade et les capitalistes français font des affaires

Le 9 novembre, le nouveau roi du Maroc, Mohammed VI, a limogé le ministre de l'Intérieur, Driss Basri, qui occupait déjà cette fonction sous le règne de son père, Hassan II.

Driss Basri, chef de la police marocaine, était en quelque sorte le symbole de la dictature d'Hassan II, de son régime policier et corrompu à tous les échelons, de la répression menée contre les opposants politiques, de l'oppression qui pesait sur l'ensemble de la population. En le limogeant, le nouveau roi fait un geste démonstratif de sa volonté de changer le régime, dans un sens un peu moins autoritaire. Il fait ce geste à l'adresse de l'opinion publique en général et de l'opinion de la petite bourgeoisie démocratique en particulier, qui aspire à soulever la terreur policière instaurée par Hassan II.

Le limogeage brutal de Basri intervient après la possibilité de retour au Maroc offerte à Abraham Serfaty, ce militant et opposant marocain qui fut emprisonné pendant dix-sept ans, puis expulsé et exilé en France pendant huit ans. Mohammed VI entreprend visiblement de donner quelques retouches au régime, pour des raisons certainement liées plus ou moins directement aux bonnes relations qu'il entend développer avec la France et l'ensemble des pays européens. Pour que le Maroc puisse solliciter valablement son éventuelle entrée dans la Communauté européenne, il lui faut bien faire quelques efforts de ravalement de façade, avec d'ailleurs l'appui et la complicité du gouvernement et des capitalistes français, comme l'a rappelé le récent sommet franco-marocain, qui s'est tenu à Fès les 4 et 5 novembre derniers et au cours duquel Lionel Jospin a apporté son soutien à la monarchie marocaine et renégocié les accords de coopérations entre les deux pays, au mieux des intérêts des grandes entreprises françaises.

Les intérêts capitalistes français au Maroc

" Le Maroc est pour nous un partenaire essentiel et un modèle pour le monde arabe " a déclaré le Premier ministre français. Certes. Premier client, premier investisseur et deuxième créancier du pays (après la Banque Mondiale), la France entretient des liens politiques et économiques privilégiés avec le Maroc. A côté des grandes multinationales françaises, près de 800 entreprises dont plus de 500 filiales font des affaires au Maroc, pays où la main-d'oeuvre est très bon marché et la législation sociale pratiquement inexistante.

Accompagné de plusieurs ministres, Lionel Jospin est venu apporter son soutien politique au nouveau roi et proposer la conversion d'une nouvelle tranche de la dette marocaine à l'égard de la France. Le gouvernement français renonce à sa créance mais, en contrepartie, les sommes qui auraient dû être dépensées pour rembourser la dette seront investies par les autorités marocaines dans des projets réalisés par... des multinationales françaises. Ainsi, un investisseur privé achète au Trésor français une créance du Maroc à un taux préférentiel, et l'Etat marocain lui verse la somme sur un compte en dirhams. L'investisseur peut soit racheter une entreprise marocaine, soit effectuer un investissement en capital. Les grandes groupes décrochent alors les marchés de modernisation des ports ou des aéroports, ceux du réseau routier ou ferroviaire, ou encore ceux de l'assainissement de l'eau ou de l'électricité des grandes villes du pays.

Bouygues, par exemple, est passé maître en la matière. Il a récemment remporté l'appel d'offres pour la construction du nouveau port de Tanger (un contrat de 3 milliards de francs). Ces dernières années, il avait déjà construit l'aéroport international d'Agadir ainsi que la Grande mosquée de Casablanca. Autre grand groupe présent au Maroc, la Lyonnaise des Eaux. Après avoir investi massivement Casablanca, la capitale économique du pays, la Lyonnaise est partie prenante dans une centrale éolienne et une centrale à gaz dans le nord.

Sept cents millions de francs de dettes ont donc été de nouveaux convertis en investissements privés (ce qui porte à 3 milliards de francs la dette ainsi convertie depuis quatre ans), qui seront peut-être utiles à une partie de la population mais qui, d'abord, répondront à la soif de profits des industriels français. Plusieurs accords économiques ont été signés, notamment pour financer un programme d'assainissement de la régie de distribution d'eau et d'électricité de Meknès (crédit de 87 millions de francs) et moderniser les chemins de fer marocains (crédit de 110 millions). Pour ce dernier projet, Alstom est déjà sur les rangs.

Coopération militaire... contre qui ?

Enfin, dernier volet du sommet, sur lequel la presse est d'ailleurs restée fort discrète, celui exprimant la volonté de la France d'aller vers une coopération " sur le plan militaire " avec le Maroc. Le Maroc serait-il menacé par un pays voisin ? L'Algérie ? La Mauritanie ? Ou bien le Front Polisario, un mouvement qui conteste l'annexion par le Maroc de l'ex-Sahara occidental ? Dans le contexte actuel, un accord de coopération " sur le plan militaire " entre les deux pays peut signifier une aide à la modernisation de l'armée marocaine ; une aide sur le plan de l'encadrement comme sur celui du renouvellement du matériel militaire obsolète, comme la France le fait déjà avec d'autres dictatures du continent africain. A terme, cela signifie de nouveaux et juteux contrats pour les industriels français de l'armement. Mais moderniser l'armée marocaine, cela permet également de rendre ce pilier de la dictature encore plus efficace pour, non pas lutter contre des ennemis hypothétiques aux frontières du royaume, mais éventuellement marcher contre sa propre population pauvre, au cas où elle se révolterait contre le chômage, la misère et les conditions de vie qu'elle subit.

Car, tandis que Jospin rapporte de cette rencontre des milliards de francs de contrats pour les grands groupes capitalistes français, la population, elle, vit toujours dans le plus grand dénuement et manque cruellement de logements décents, d'écoles, d'hôpitaux, d'eau courante, d'électricité, de tous les moyens élémentaires pour vivre correctement. Et ce ne sont pas les quelques changements dans l'appareil d'Etat auxquels procède le nouveau roi qui pourront y remédier rapidement et radicalement.

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