Il y a 50 ans, États-Unis : La " chasse aux sorcières " qui visait les communistes mais surtout le mouvement ouvrier19/11/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/11/une-1636.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

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Il y a 50 ans, États-Unis : La " chasse aux sorcières " qui visait les communistes mais surtout le mouvement ouvrier

Le 14 octobre 1949, les onze principaux dirigeants du Parti Communiste Américain étaient condamnés à la prison pour avoir " prôné le renversement du gouvernement des Etats-Unis ". Début novembre 1949, lors de son congrès de Cleveland (Ohio), le CIO, l'une des deux grandes centrales syndicales américaines, modifiait ses statuts dans un sens nettement anticommuniste et entreprenait de liquider les syndicats dirigés par des militants membres du PC ou proches de lui.

Ces deux événements marquent une étape importante dans la " chasse aux sorcières " qui s'est déroulée de 1947 à 1957 aux Etats-Unis, et qui connut son paroxysme avec le " maccarthysme " des années 1950-1954. La " chasse aux sorcières " n'était pas uniquement dirigée contre de pseudo- " espions " (comme les Rosenberg, exécutés en 1953) ou des artistes de gauche (comme les Dix de Hollywood, dont les cinéastes Herbert Biberman, réalisateur du Sel de la terre, ou Dalton Trumbo, l'auteur de Johnny s'en va-t-en guerre sont parmi les plus connus).

L'hystérie " antirouge ", qui submergeait alors les Etats-Unis, n'était évidemment pas fondée sur la menace que pouvait représenter un Parti Communiste faible (il avait renoncé à présenter un candidat à la présidentielle de 1944, car il n'avait recueilli que 46 000 voix à la précédente élection), malgré l'influence de ses militants dans les syndicats. Le PC Américain n'était pas un parti " révolutionnaire ", le gouvernement ne l'ignorait pas. L'attitude des autorités américaines s'inscrivait dans le cadre de la " Guerre Froide " qu'elles avaient décidé de mener contre l'URSS, leur ex-alliée de la Seconde Guerre mondiale. A l'extérieur, les dirigeants américains s'irritaient de l'opposition que rencontrait le plan Marshall de la part de l'URSS, des pays d'Europe de l'Est et des partis communistes. Mais surtout, aux Etats-Unis même, l'année 1946 avait été marquée par une importante vague de grèves en réaction au chômage et à la hausse du coût de la vie (+150 % de juin à décembre 1946). Pour le président de General Motors, porte- parole du patronat américain, les choses étaient claires : " Les problèmes des Etats-Unis peuvent être résumés en deux mots : la Russie à l'étranger, et les syndicats chez nous. " Le programme de la " chasse aux sorcières " fut tout trouvé. Elle serait anticommuniste et antiouvrière.

La première étape de cette offensive fut l'adoption en juin 1947 de la loi Taft-Hartley qui mettait les organisations syndicales sous tutelle, limitait le droit de grève (préavis obligatoire de 60 jours, interdiction des grèves de solidarité, etc.), interdisait aux syndicats de soutenir un candidat à une élection fédérale et demandait à tout élu syndical de déclarer sous serment qu'il n'était pas membre du Parti Communiste.

Cette loi était un coup direct porté à un mouvement ouvrier alors puissant. Mais les dirigeants syndicaux du CIO choisirent, sauf exception (le syndicat des mineurs, celui des typographes), de ne pas engager la lutte contre ces lois antiouvrières et de " collaborer " avec le gouvernement. Certains d'entre eux étaient bien sûr des anticommunistes forcenés, mais dans leur majorité ils étaient préoccupés de la concurrence de l'AFL (où il n'y avait pas de communistes), et sensibles à la pression du gouvernement et du patronat. Ainsi, l'antisyndicalisme patronal, l'anticommunisme politique et les divisions syndicales se conjuguèrent pour qu'une vigoureuse chasse aux sorcières soit menée à l'intérieur même du CIO.

L'attaque se déroula en deux temps. D'abord, le CIO entreprit de se mettre en conformité avec la loi Taft-Hartley et demanda aux dirigeants syndicaux de dire sous serment qu'ils n'étaient " pas membres du Parti Communiste... et ne le soutenaient pas ", sous peine d'exclusion. Avec l'accord de leur parti, plusieurs dizaines de syndicalistes communistes connus firent de faux serments. Ils n'en furent pas moins poursuivis et condamnés, parfois très durement. L'un des dirigeants du syndicat des métaux non-ferreux (dont les militants ont été les protagonistes du film Le sel de la terre) sera condamné à 8 000 dollars d'amende et à huit ans de prison pour faux témoignage.

Mais les procès traînaient en longueur et de nombreux militants échappèrent à la chasse aux sorcières. Le CIO adopta alors une ligne politique plus dure, difficile à accepter pour des communistes, et qui devint même une des conditions d'adhésion au syndicat. En janvier 1948, le CIO annonça en effet qu'il soutenait le plan Marshall et obtint du congrès de Cleveland (novembre 1949) l'autorisation d'expulser les syndicats qui ne respecteraient pas la nouvelle ligne politique de la centrale. Dans l'année qui suivit, dix syndicats à direction communiste furent ainsi expulsés, un onzième se soumit et se débarrassa de ses dirigeants communistes (ou présumés tels).

Au total, un million de syndiqués (sur les cinq millions que comptait le CIO) se retrouvèrent sans affiliation syndicale. Le CIO, qui avait déjà quitté la FSM (Fédération syndicale mondiale, où se retrouvaient les syndicats proches des Partis Communistes) au début de 1949, fut donc " blanchi " aux yeux du gouvernement. Il fonda alors, avec l'AFL, la CISL (" Confédération internationale des syndicats libres ", ouvertement anticommuniste), avant de fusionner avec l'AFL en 1955, et de créer l'AFL-CIO.

De son côté, le Parti Communiste fut en butte à une répression systématique. En juillet 1948, les principaux dirigeants du Parti furent inculpés en tant que responsables d'un " complot ", non pas pour renverser les institutions américaines, mais " prônant " leur renversement. Le procès s'ouvrit en janvier 1949 et se conclut le 14 octobre 1949 par la condamnation de onze dirigeants à 5 ans de prison et 5 000 dollars d'amende chacun (l'un d'entre eux mourra en prison après avoir été assommé à coups de barre de fer par un co-détenu voulant se faire bien voir des autorités).

Le FBI se lança alors sur la piste des dirigeants moins importants. Nombre d'entre eux se réfugièrent à l'étranger (Canada, Mexique, Europe) ou entrèrent dans la clandestinité sur ordre du parti qui fit l'analyse que le pays se dirigeait vers un " fascisme américain ".

Au total, entre 1948 et 1957, 145 militants furent arrêtés et 108 d'entre eux condamnés à un total de 418 années de prison. Mais 28 condamnés seulement purgèrent toute leur peine, car en 1957, la Cour suprême estima qu'on ne peut condamner quelqu'un pour avoir " prôné " le renversement du gouvernement par la force, du moment que cela reste un principe abstrait et qu'aucune " action en ce sens " n'est entreprise. La " chasse aux sorcières " était terminée.

Cela laissa un Parti Communiste affaibli, passé de 75 000 à 25 000 membres. Son influence dans les syndicats était devenue pratiquement nulle alors qu'elle représentait environ 25 % du CIO à la sortie de la guerre.

Quant au mouvement syndical, il se trouvait désormais amputé de ses meilleurs éléments. Cette époque marqua la fin de la tradition militante du CIO, incarnée en grande partie par les militants communistes et par ceux qu'ils influençaient.

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