Chevènement veut activer la chasse aux sans-papiers05/11/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/11/une-1634.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

Chevènement veut activer la chasse aux sans-papiers

Après avoir débouté 63 000 sans-papiers de leur demande de régularisation, Jean-Pierre Chevènement vient d'envoyer en catimini aux préfets une circulaire datée du 11 octobre où il les enjoint de procéder à des rafles et des expulsions de sans-papiers. D'après lui, les préfets doivent " motiver et mobiliser les services de police compétents pour procéder aux interpellations qui sont actuellement en nombre insuffisant ". Estimant que trop de décisions de reconduite à la frontière ne sont pas exécutées, il essaie de faire pression pour que celles-ci soient réalisées plus rapidement. Il demande que les tribunaux administratifs choisissent plus souvent de prolonger les délais de rétention et refusent plus systématiquement les mises en liberté.

Bref Chevènement dit clairement qu'il veut " faire du chiffre " parce que le nombre d'expulsions - environ 10 000 par an - aurait baissé de 8 % depuis 1997. Il ne veut pas qu'on puisse l'accuser de laxisme et flatte une fois de plus la fraction réactionnaire et xénophobe de l'opinion.

La circulaire donne des instructions révoltantes. " Tout en évitant le risque de contrôles systématiquement sélectifs " y est-il précisé, " vous rappellerez aux services de police et de gendarmerie la nécessité d'effectuer des vérifications répétées dans les endroits qu'ils vous auront indiqués comme étant ceux où se concentrent les irréguliers ". Cela veut dire une systématisation des contrôles visant ceux que la couleur de leur peau ou l'allure rendent a priori suspects. Ces pratiques odieuses pourtant déjà bien trop courantes devraient donc s'aggraver encore. Cela signifie qu'il va y avoir de plus en plus de descentes de police dans les foyers de travailleurs, dans les bars fréquentés par des étrangers ainsi qu'à proximité des locaux des collectifs où se retrouvent régulièrement des sans-papiers. Un fichier " des empreintes des demandeurs de titres de séjour " est envisagé. Bref, tout est fait pour créer un sentiment de crainte et d'insécurité parmi les sans-papiers.

Chevènement accuse à la fois la justice, les services consulaires en France des pays dont les sans-papiers sont originaires et toutes les organisations qui soutiennent les sans-papiers, de ralentir le bon fonctionnement de sa machine à expulser.

Beaucoup ont, parmi les sans-papiers, le sentiment d'avoir été trahis. C'est vrai qu'ils l'ont été. Et si la plupart ne voient pas de solution, une minorité d'entre eux estiment qu'ils n'ont plus rien à perdre et choisissent de se battre. Le mouvement qui se traduit depuis plus d'un mois par une occupation et une grève de la faim à Saint-Denis (93) montre que le désespoir engendre des réactions déterminées qui suscitent des marques de sympathie et de soutien, non seulement parmi les sans-papiers, mais aussi parmi tous ceux qui se sentent solidaires des sans-papiers, et qui sont révoltés par la politique du gouvernement sur ce sujet.

Elisabeth Guigou, garde des Sceaux, s'est un peu rebiffée contre les propos de Chevènement qui estime que la justice est trop lente et trop clémente. Mais son agacement, irritée que l'on vienne piétiner ses plates-bandes, n'empêche pas l'un et l'autre ministre de mener fondamentalement la même politique vis-à-vis des sans-papiers. C'est chaque semaine que des travailleurs immigrés en situation irrégulière sont enfermés, " retenus " dans des camps où leur sont imposées des conditions de séjour scandaleuses. C'est constamment que des arrêtés de reconduite à la frontière sont pris à l'encontre de travailleurs vivant depuis cinq, sept ou dix ans, voire plus, en France et il n'est pas tolérable que cette situation s'aggrave encore.

La Coordination nationale des sans-papiers signale que depuis une semaine les arrestations se sont multipliées. Des tentatives d'intimidation vis-à-vis de certains collectifs ont eu lieu. Un membre du secrétariat national de cette coordination, Romain Binazon, a vu sa peine aggravée à l'issue d'un procès en appel. Il faut peut-être s'attendre à différentes mesures d'intimidation. Mais le caractère provoquant et cynique des déclarations de Chevènement peut, à l'inverse, provoquer de plus amples réactions de protestation dans l'opinion. De nombreuses associations de défense des droits de l'homme ou de soutien aux sans-papiers appellent à des actions, des pétitions ou des manifestations, et nous sommes solidaires de leurs initiatives. Les travailleurs étrangers actuellement " sans-papiers " doivent tous voir leur situation régularisée. La régularisation de tous les sans- papiers, c'est-à-dire la possibilité pour eux de circuler librement, de vivre librement avec leur famille, leurs amis, d'avoir un travail et un logement et de se soigner, est un droit. Un droit élémentaire qu'il nous faut imposer.

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