Turquie : Dix militants d'extrême gauche assassinés en prison15/10/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/10/une-1631.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Turquie : Dix militants d'extrême gauche assassinés en prison

Le 25 septembre, la presse turque annonçait que dix militants d'extrême gauche avaient été tués à la prison centrale d'Ankara, cela à la suite d'une " révolte " des prisonniers sur laquelle elle ne donnait que des informations très contradictoires, allant jusqu'à insinuer qu'ils " se seraient tués entre eux... "

En fait, les prisonniers tués ont payé pour une autre affaire, annoncée quelques jours plus tôt, le 20 septembre, qui s'est produite dans une autre prison, celle de Bayrampasa à Istanbul, impliquant cette fois des hommes de la mafia face auxquels l'attitude des autorités a été bien différente.

L'un des mafieux en cause est un des hommes du parrain Çakici, actuellement emprisonné en France, à la prison de Nice. Çakici n'est pas seulement un mafieux, mais aussi un militant d'extrême droite, qui avant le coup d'Etat de 1980 a assassiné plusieurs militants d'extrême gauche, qui pouvait voyager à l'étranger avec des vrais-faux passeports diplomatiques, collaborant directement avec l'appareil d'Etat et ayant ses entrées dans des ministères. Eh bien, cet homme du clan Çakici emprisonné à Istanbul a pu sortir de sa cellule, franchir sept portes métalliques de sécurité équipées de détecteurs d'armes, pour aller tuer son rival dans un autre secteur de la prison ! Une fusillade a alors éclaté entre mafieux, au sein même de la prison, au point que les gardiens et les forces de sécurité se sont dits débordés... mais n'ont pas pour autant sorti leurs armes contre les hommes de la mafia : ils ont préféré " négocier ".

Ce règlement de comptes entre deux bandes de mafieux, dont l'enjeu était de se partager une somme importante et des sources de revenu comme le trafic de drogue, la prostitution, etc., s'est soldé dans la prison même par sept morts et trois blessés. Mais dans les jours qui ont suivi, l'affaire et les révélations de la presse ont permis à la population d'apprendre que les hommes de la mafia (souvent d'ex-militants de l'extrême droite) arrêtés, surtout après les révélations de l'accident de Susurluk (où dans la Mercedes accidentée d'un député de droite, celui-ci se trouvait en compagnie d'un commissaire de police de haut rang, d'un assassin d'extrême droite " recherché " par la police turque et Interpol, et d'une call-girl), et emprisonnés à Bayrampasa y vivaient... comme des pachas, continuaient à diriger leurs affaires, c'est-à-dire des réseaux de trafic de drogue, de prostitution, d'extorsion de fonds, etc. depuis leurs téléphones portables. A la suite de ces événements des armes, des grenades, de la drogue et même un coffre-fort avec des sommes d'argent importantes appartenant a ces " détenus " bien particuliers ont même été trouvés sur place.

Le scandale soulevé a incité le régime à déclarer qu'il fallait faire quelque chose, à mener une grande campagne disant qu'il fallait reprendre en main les prisons, devenues des lieux de non-droit. Mais curieusement cette campagne dénonçait non les mafieux mais... les militants d'extrême gauche pour qui les prisons seraient devenues des " écoles de formation ", voire où ils auraient " le pouvoir ".

Alors, les militants emprisonnés sont devenus les victimes désignées. Le 25 septembre, la police et les gardiens ont envahi la prison d'Ankara pour y " mettre de l'ordre ", et à cette occasion supprimer les quelques petits aménagements que les prisonniers politiques de gauche et d'extrême gauche avaient obtenus dans le passé, au prix souvent de grèves de la faim ayant coûté la vie à plusieurs d'entre eux.

Les prisonniers d'extrême gauche ont bien essayé de protester, mais la même police qui avait été très coopérante avec les mafieux se promenant avec leurs armes à Istanbul a trouvé " inadmissible " la protestation de militants voulant défendre leur dignité. La réaction de la police et des gardiens a été violente, frappant sauvagement les détenus et faisant parmi eux dix morts et plusieurs dizaines de blessés. Les corps ont été aussitôt enterrés, les autorités refusant toute expertise et de rendre les corps à leur famille...

Les détenus de gauche payent ainsi de leur vie le contre-feu allumé par les autorités après le scandale de Bayrampasa. La police, les gardiens, et tout l'appareil d'Etat veulent pouvoir continuer à exercer leur arbitraire, qui comporte la complaisance et la corruption vis-à-vis de la mafia et la pire férocité à l'égard des détenus politiques.

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