Grande-Bretagne - Après la catastrophe de Paddington : L'attitude criminelle des compagnies privées... couvertes par le gouvernement travailliste15/10/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/10/une-1631.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Grande-Bretagne - Après la catastrophe de Paddington : L'attitude criminelle des compagnies privées... couvertes par le gouvernement travailliste

La catastrophe ferroviaire de Paddington, dont le bilan, toujours provisoire, serait de quarante morts, a suscité un profond émoi dans le pays. Et du coup, pour une fois, a été levé le voile épais que jettent d'ordinaire les médias sur ce genre d'événements. C'est ainsi qu'a été mis en lumière le long catalogue de manquements aux règles de sécurité les plus élémentaires dont se sont rendues coupables les trois compagnies de chemins de fer privatisées en jeu dans cet accident.

Un catalogue de scandales

Plus question aujourd'hui de faire porter le chapeau à l'un des conducteurs pour avoir franchi un signal au rouge. D'abord parce que le dispositif automatique d'enregistrement qui permettrait de savoir si ce signal fonctionnait ou pas... ne marchait pas. Ensuite parce que, depuis près de cinq ans, le syndicat des conducteurs avait déposé une plainte auprès de l'inspection d'Etat chargé de l'Hygiène et la Sécurité (HSE) du fait de la mauvaise visibilité de ce signal. Or rien n'avait été fait, ni par le HSE, ni par Railtrack, la compagnie privée qui gère les voies et la signalisation.

Mais même si ce signal avait été grillé, l'un des systèmes d'arrêt automatique d'urgence utilisés dans d'autres pays aurait pu éviter la catastrophe. Seulement, malgré des recommandations datant de 1988, il n'existe toujours aucun système de ce type en Grande-Bretagne. Et le gouvernement de Tony Blair ne comptait pas en introduire un avant 2003 au plus tôt, et encore, une version bon marché qui serait de toute façon inutile pour des trains circulant à plus de 110 km/h. Quant aux compagnies privées, il n'était même pas question de leur demander de débourser un penny pour cela.

Enfin, et cela a probablement joué un rôle non négligeable dans le nombre des victimes, il apparaît que les deux compagnies privées de transport avaient révisé à la baisse les spécifications demandées pour leurs wagons. Pour réduire la consommation en fuel des motrices diesel, les wagons récents n'avaient plus d'armatures d'acier, mais seulement un habillage d'aluminium, ce qui a réduit de façon importante leur résistance au choc. Quant au wagon incendié où sont mortes le plus grand nombre de victimes, c'était un vieux wagon dont la compagnie Great Western avait condamné les portes : parce que ces portes à battant avaient été la cause d'un grand nombre d'accidents, au lieu de les remplacer par des portes coulissantes, la compagnie les avait dotées d'une serrure que seul un agent roulant pouvait ouvrir. Or il n'y avait que trois agents dans le train disposant d'une clé et aucun dans ce wagon au moment de l'accident. De sorte que ses occupants se sont retrouvés pris au piège.

De la poudre aux yeux

Face au scandale déclenché par l'accident et aux révélations qui l'ont suivi, le gouvernement de Tony Blair s'est senti obligé de faire un geste. Dans un premier temps il a annoncé que 10 milliards de francs de crédits seraient débloqués pour installer un système d'arrêt d'urgence automatique sur les grandes lignes. A quelle échéance, nul ne sait. En revanche, ce que l'on a appris depuis, c'est qu'il s'agirait en fait de crédits déjà prévus au budget bien maigre des transports publics qui seraient réaffectés sur les chemins de fer. En revanche il ne serait pas question de faire débourser quoi que ce soit aux compagnies.

Puis, comme cette annonce n'avait pas éteint le scandale, le vice-Premier ministre John Prescott (dont, comble d'ironie, la campagne électorale aux dernières législatives a été sponsorisée par le principal syndicat de cheminots) a annoncé que toutes les responsabilités concernant la sécurité dans les chemins de fer incomberaient à l'Etat et non plus à Railtrack.

Mais cette annonce n'est que de la poudre aux yeux destinée à faire croire que le gouvernement fait enfin quelque chose. Car dans les faits, le rôle de Railtrack en matière de sécurité n'était pas d'en contrôler l'application mais simplement de vérifier a priori que les nouveaux projets présentés par les diverses compagnies opérant sur le réseau tenaient compte de ces règles. Le contrôle de l'application de la sécurité était et restera donc le fait du HSE, corps d'Etat chargé de la sécurité dans tous les domaines de la vie économique. Or le HSE est paralysé depuis des années par des effectifs réduits à moins d'une centaine d'inspecteurs sous les gouvernements conservateurs. Et le gouvernement de Tony Blair n'a rien fait et ne compte rien faire pour y changer quoi que ce soit.

Les privatisations continuent

Mais surtout il n'est pas question pour les Travaillistes de s'en prendre réellement aux compagnies privatisées dont l'avidité au profit dégrade de plus en plus les chemins de fer.

D'ailleurs, face aux spéculations qui se sont fait jour dans la presse, selon lesquelles Blair pourrait abandonner le reste de son programme de privatisations, un communiqué officiel a annoncé le 11 octobre qu'il n'en serait rien : comme prévu le contrôle aérien et le métro londonien restent à vendre. Sinistre ironie, si les plans concernant le métro londonien, qui devaient être annoncés le jour de la catastrophe de Paddington, sont mis en application, c'est Railtrack qui devrait remporter la plus grosse part du gâteau !

Trois jours après l'accident, au cours d'une émission télévisée, le ministre des Affaires étrangères Robin Cook a été apostrophé par un téléspectateur qui n'avait rien d'un gauchiste. Celui-ci a sommé le ministre de s'expliquer sur le fait que le gouvernement n'avait pas renationalisé sur le champ et sans indemnités l'ensemble des compagnies privatisées. " Après tout ", disait à juste raison ce téléspectateur indigné, " leurs actionnaires ont plus que doublé leur mise de départ aujourd'hui, on ne leur doit plus rien ". Cook ne trouva rien à dire, sinon qu'il n'était pas question de " s'en prendre au monde des affaires " - réponse aussi courte qu'elle en dit long sur la politique des Travaillistes au pouvoir.

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