Électricité : spéculation et propagande31/08/20222022Journal/medias/journalnumero/images/2022/09/2822.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Électricité : spéculation et propagande

+ 1 200 %, c’est le chiffre asséné depuis des jours par la presse à propos du prix de l’électricité. Ce chiffre, aussi spectaculaire soit-il, est non seulement trompeur mais essentiellement dû à la spéculation.

Depuis plusieurs jours, l’électricité s’échange à plus de 1 000 euros le mégawattheure au lieu de 85 euros il y a un an. Mais il faut mettre plusieurs bémols au discours catastrophiste du gouvernement et des journalistes aux ordres. Tout d’abord ce chiffre ne concerne qu’une partie très limitée de l’électricité consommée dans le pays : la fraction non produite en France et achetée sur le marché de gros. Le coût de production de l’immense majorité de ce qui est consommé ne dépasse pas la centaine d’euros.

Le mécanisme de fixation sur ce marché européen de l’électricité, mis au point lors de l’ouverture à la concurrence, résulte des tractations laborieuses entre les principaux pays de l’Union européenne (UE). Il avait été conçu pour tenir compte des intérêts contradictoires des principaux capitalistes européens de l’électricité. Ce prix de marché n’est pas déterminé par le coût moyen des mégawatts produits dans les centrales électriques en activité, mais par celui des dernières centrales dont on a besoin pour équilibrer le réseau, c’est-à-dire pour fabriquer et acheminer autant de courant électrique que nécessaire à l’heure considérée. Avec plusieurs centrales nucléaires à l’arrêt et compte tenu de l’extrême variabilité de la production d’électricité dite renouvelable, l’Europe ne peut pas se passer des centrales fonctionnant au gaz et au charbon.

Or les prix du charbon, du pétrole et surtout du gaz explosent. Les quelques grandes sociétés, dont Total­Energies, qui dominent le secteur étranglent délibérément l’économie mondiale pour verser des dividendes sensationnels à leurs actionnaires. La hausse spéculative du gaz est telle qu’un méthanier chargé de GNL texan, ayant déjà traversé les écluses de Panama pour aller livrer en Chine, les a repassées dans l’autre sens car une meilleure affaire se présentait en Europe. Le coût de production de son gaz n’avait pas changé, son prix de vente, si.

La hausse du prix du courant électrique est de plus amplifiée par la spéculation propre à tous les marchés « sous tension », pour reprendre les termes des économistes. L’électricité n’étant pas stockable et les besoins du marché, en l’occurrence ceux des industriels et des consommateurs des 35 pays européens connectés, variant d’heure en heure, le prix varie lui aussi en même temps. Ainsi, le 4 avril dernier, à 8 heures, devant une pointe de froid, l’ouverture des bureaux et la faible disponibilité du parc nucléaire, EDF a dû acheter du courant sur le marché en payant, à ce moment, 2 900 euros le MWh.

La guerre en Ukraine a bon dos. La France était encore il y a trois ans le premier exportateur d’électricité au monde, qu’elle produisait à bas coût et vendait au prix fort. Si, aujourd’hui, elle doit importer de l’électricité, c’est parce 32 des 56 réacteurs nucléaires que compte le territoire sont à l’arrêt pour maintenance. EDF a annoncé que plusieurs d’entre eux ne seront pas remis en service avant des mois, du fait de problèmes de corrosion affectant leur circuit de refroidissement. Ces arrêts amplifient le risque de pénurie pour cet hiver.

Mais le problème n’est pas seulement technique. Les incertitudes sur le fonctionnement des centrales nucléaires, la crise du gaz, amplifiée par la guerre en Ukraine et les besoins croissants en électricité avec la transition énergétique, ont modifié les rapports de force entre les producteurs européens et entre les divers fournisseurs d’énergie fossile, les États-Unis et la Russie au premier chef. C’est pourquoi, comme l’a confirmé Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, les dirigeants de l’UE veulent modifier ce mécanisme, ce qui promet de longues et dures tractations. En attendant leur résultat, cette dramatisation sur les hausses de prix sert à faire admettre à la population qu’elle va devoir consommer moins d’électricité tout en la payant beaucoup plus cher.

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