Pendant que le bateau coule, le spectacle continue10/05/20172017Journal/medias/journalarticle/images/2017/05/p5_Manif_1er_mai_C_LO.jpg.420x236_q85_box-0%2C42%2C800%2C491_crop_detail.jpg

Politique

Pendant que le bateau coule, le spectacle continue

Rien ne manquait à la mise en scène, le soir du dimanche 7 mai dans la Cour carrée du Louvre. Plusieurs centaines de journalistes accrédités, les télévisions du monde entier. Le nouveau président traversant, seul, l’esplanade vers la tribune où l’attendait, en contrebas, la foule agitant des drapeaux bleu-blanc-rouge. Beethoven pour commencer et La Marseillaise pour finir !

Illustration - Pendant que le bateau coule, le spectacle  continue

Et les médias de s’extasier devant l’élection de ce jeune président, le plus jeune, répétaient-ils, depuis Louis-Napoléon Bonaparte qui, avant de se proclamer empereur, s’était fait élire président de la République quelques mois après que la première grande insurrection ouvrière contre la bourgeoisie, en juin 1848, eut été noyée dans le sang.

Mais la comparaison avec le précédent historique s’arrête là. Au temps de Louis-Napoléon Bonaparte, la bourgeoisie était encore jeune, avec toutes ses dents. Des décennies de prospérité et d’enrichissement l’attendaient sous un capitalisme en pleine vigueur.

Aujourd’hui, Macron arrive au service d’un capitalisme sénile, étouffant dans sa graisse financière, rongé par une crise économique dont il ne parvient pas à sortir.

Le chômage de masse, la détérioration des relations humaines, la pourriture de la vie sociale, le climat de guerre, le terrorisme sont les signes infaillibles du déclin du capitalisme à l’échelle internationale. Le capitalisme, anachronique par rapport aux immenses possibilités scientifiques et techniques de l’humanité, les dénature et pousse la société à la régression. Le seul moyen d’empêcher qu’il n’entraîne l’humanité vers la catastrophe est de mettre fin à cet ordre social.

L’élection de Macron a été saluée par les représentants des deux grands partis de l’alternance qu’il a pourtant écartés de la course à l’Élysée. Saluée aussi par tous les « grands de ce monde », de Merkel à Trump. Saluée enfin par Gattaz, au nom de ses compères de la grande bourgeoisie.

Et si les valeurs boursières ne se sont pas de nouveau envolées, c’est juste parce que les marchés financiers avaient déjà anticipé au soir du premier tour l’accession de Macron à l’Élysée.

Un renouveau pour la galerie

Le renouveau de la vie politique, salué par la cohorte de politiciens présents sur les plateaux de télévision – les mêmes que les téléspectateurs ont l’habitude de voir depuis dix, vingt ans ou plus et qui se disputent déjà places et positions –, se limite cependant à la réussite d’une opération de marketing.

Elle a réussi, en effet, à faire un président de la République d’un jeune arriviste formaté par la banque et par les cabinets de l’Élysée. Le produit Macron a certes été servi par la chance : l’écroulement de la candidature Fillon, favori de l’électorat de droite et candidat de cœur de la bourgeoisie. Mais Macron a pu saisir sa chance parce que les grands médias, c’est-à-dire leurs propriétaires, les Dassault, Drahi, Bolloré, Arnault, Lagardère et quelques autres, se sont mis au service de son ascension.

Plus de 20 millions d’électeurs, 66 % des votants, ont voté pour Macron. Mais, en même temps, le total des bulletins blancs et nuls a explosé entre les deux tours. Les abstentions aussi (cf. notre tableau).

Les flonflons de la célébration ne peuvent pas cacher les refus du faux choix du deuxième tour qui se manifestent dans ces chiffres et le rejet que cela exprime. Comme ils ne peuvent pas cacher le fait que la colère s’est manifestée aussi à sa façon, c’est-à-dire la pire qui soit, à travers les votes en faveur de Le Pen. Au deuxième tour, Marine Le Pen a obtenu plus de 10 millions de voix, en augmentant de près de 3 millions le nombre de ses électeurs.

Le danger du Front national

Marine Le Pen n’a pas pu s’installer à l’Élysée. Mais ceux qui, dans les classes populaires, ont choisi de voter pour la représentante de l’extrême droite pour exprimer leur colère, sont toujours là, dans les entreprises, dans les quartiers pauvres.

Une fraction importante du monde du travail a choisi d’exprimer sa colère en se subordonnant à une extrême droite congénitalement antiouvrière.

Il n’y a pas lieu de revenir ici sur la responsabilité écrasante du parti stalinien et du parti social-démocrate dans cette évolution. Pas plus que sur leur responsabilité pour avoir démoli parmi les travailleurs les valeurs du mouvement ouvrier pour y substituer une phraséologie chauvine, xénophobe, raciste et réactionnaire.

Même si ce n’est que l’expression électorale du profond recul du mouvement ouvrier, cela en est une expression. Comme en est une aussi, même si c’est d’une autre manière, le fait qu’une autre partie de l’électorat ouvrier n’ait pas vu d’autre possibilité, pour conjurer ses craintes devant la montée du Front national, que de se jeter dans les bras de Macron.

Même les médias les mieux disposés à l’égard de Macron répètent qu’il ne connaîtra pas d’état de grâce. Et comment pourrait-il en être autrement lorsqu’il annonce que les mesures les plus urgentes qu’il compte prendre le seront par ordonnances, en se passant même des discussions au Parlement dont il ignore encore la composition ? Parmi les mesures qu’il considère les plus urgentes, il y a l’aggravation des lois El Khomri, il y a le démantèlement de la législation du travail et des conventions collectives au profit d’accords d’entreprise.

L’offensive à venir

À la différence de Hollande, Macron ne cherche même pas à dissimuler qu’il est décidé à exécuter tout ce que lui demandera le grand patronat. Celui-ci continuera son offensive contre la classe ouvrière, et plus généralement contre toutes les couches populaires.

Le nouvel exécutif mènera cette offensive au milieu de l’instabilité politique que va engendrer la compétition entre appareils et ambitions des politiciens pour profiter de la recomposition politique qui s’annonce.

Par rapport aux menaces que recèle cette situation, la classe ouvrière a pris beaucoup de retard. Il ne réside pas dans un manque de combativité des travailleurs. Cette combativité, la classe ouvrière finira par la retrouver, car la grande bourgeoisie et son personnel politique ne lui laissent pas le choix. Mais rien ne serait plus dramatique, lorsque l’explosion sociale se produira, que de laisser des démagogues détourner les luttes vers des voies de garage. Et des candidats à ce rôle-là peuvent se trouver aussi bien du côté des mélenchonistes que du côté de l’extrême droite. Ne serait-ce qu’en orientant la lutte vers le protectionnisme ou, pire encore, vers le rejet des travailleurs étrangers, détachés ou pas.

Il ne s’agit pas seulement de défendre les seuls intérêts matériels des travailleurs. Il s’agit plus encore de mettre en avant leurs intérêts politiques. Les deux sont inséparables.

Les directions politiques du mouvement ouvrier, faillies de longue date, n’ont pas été remplacées par une autre décidée à défendre les intérêts matériels et politiques de la classe ouvrière.

Il faut un parti révolutionnaire

Il ne peut pas y avoir de tâche plus urgente que faire renaître un parti qui ait le programme, la volonté et la compétence pour incarner cela. Car la conscience de classe politique n’est jamais suspendue en l’air. Elle est incarnée par un parti communiste révolutionnaire. La nécessité de se donner un parti se pose à la classe ouvrière depuis longtemps. Le retard pris dans ce domaine représente de toute façon du temps perdu pour former des militants ouvriers et les aguerrir. Mais c’est avec la crise économique, la menace pour les masses ouvrières de tomber dans la misère, l’instabilité de la situation politique, la montée de l’extrême droite, que cette question devient cruciale.

Il ne s’agit pas d’être optimiste ou pessimiste. Il ne s’agit pas de spéculer en observateurs en dehors de la lutte des classes. Il s’agit de regarder la réalité en face pour en déduire ce qu’il y a à faire. Car une montée ouvrière puissante peut faire surgir par milliers des militants ouvriers, des cadres susceptibles de conduire le combat de leur classe. Mais il faut qu’ils trouvent le chemin vers l’expérience accumulée au cours des combats du passé de la classe ouvrière.

C’est un problème bien plus ample que l’échéance des élections législatives. Mais cette échéance peut et doit être un pas en avant dans cette direction. Voilà pourquoi Lutte ouvrière n’a pas l’intention de participer à quelque combinaison politicienne que ce soit. Elle présentera des candidats dans la quasi-totalité des circonscriptions. Elle veut permettre aux électeurs qui se reconnaissent dans le camp des travailleurs de voter sans apporter leur soutien à quelque future majorité parlementaire que ce soit. Elle vise à donner au courant qui se revendique du communisme, c’est-à-dire du combat contre la dictature de la grande bourgeoisie sur la société, les moyens de s’affirmer d’élection en élection.

Le futur parti ne se développera que dans les luttes quotidiennes, petites et grandes, de la classe ouvrière. Mais la permanence d’un courant communiste dans les élections contribue à lever un drapeau et à proposer un programme.

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