il y a cent ans

Printemps 1917 : le début de la révolte contre la guerre

Lors du déclenchement de la guerre en août 1914, le ralliement des principaux dirigeants socialistes à leur bourgeoisie et à la guerre avait laissé les travailleurs les plus conscients sans aucune perspective. Abandonnés et désorientés, ils rejoignirent leurs casernes et le front les uns après les autres. La guerre permit simultanément aux États de renforcer considérablement leurs moyens de propagande, de censure et de répression contre leurs propres soldats.

Il s’agissait également d’éliminer toute menace venant du mouvement ouvrier. En France, dès le début de la guerre, l’État fusilla plusieurs centaines de soldats à titre d’« exemple » après des procès expéditifs. D’autres, aussi nombreux, qui refusaient d’avancer, furent abattus durant les assauts par les officiers. L’utilisation de la contrainte, de la terreur de la hiérarchie et de la justice militaire demeura indispensable aux états-majors pour maintenir les hommes dans l’obéissance.

Les fraternisations

Une fois passés les premiers mois de combat et l’espoir de voir la guerre s’achever rapidement, on observa des gestes de sympathie et d’humanité entre combattants sur tous les fronts. Des cigarettes ou des vivres étaient échangés et même des parties de football organisées. Une brasserie fut ouverte pour les soldats des deux côtés du no man’s land ! À plusieurs reprises, il y eut même de véritables scènes de fraternisation dès que la pression des états-majors se relâchait, notamment à l’occasion des fêtes de fin d’année.

Tous les états-majors réprimèrent violemment ces initiatives ou dispersèrent les hommes qui composaient les unités impliquées. Le philosophe Alain, alors artilleur, rapporte : « On voyait quelquefois dans les lunettes de l’artillerie les guetteurs de l’infanterie s’asseoir sur les parapets et engager une conversation d’une tranchée à l’autre. L’ordre était de commencer aussitôt le bombardement. » C’est aussi dans le but de briser les liens naissants entre combattants de part et d’autre de la ligne de front que les chefs maintenaient, à l’arrière comme dans les premières lignes, une activité permanente ou des « coups de main » sans objectifs militaires réels.

Ainsi, sans parler la même langue, bien des hommes se comprenaient : ils avaient de plus en plus conscience de mourir pour les capitalistes et les « gros » de l’arrière et de n’être en somme que des PCDF, des « pauvres couillons du front ».

Grèves ouvrières et mutineries

En Russie, la désagrégation de l’armée, combinée à l’agitation ouvrière dans la capitale Petrograd, déboucha sur la révolution, renversant l’autocratie tsariste en février-mars 1917. L’ensemble des classes dirigeantes ressentit la menace. Au printemps 1917, dans la plupart des pays belligérants, le prolétariat commençait à relever la tête : ce furent les grèves des « cousettes » et des « munitionnettes », puis de tout le secteur de l’armement en France, le blocage des industries de guerre à Berlin, le soulèvement des ouvriers turinois au cours de l’été, les émeutes de la faim en Autriche-Hongrie.

C’est dans ce contexte, et tandis que l’introduction de la conscription au Canada comme aux États-Unis provoquait de véritables émeutes et des désertions en masse, que l’armée française fut touchée par une vague de contestation débouchant sur de véritables mutineries, des « grèves aux armées » comme le disaient souvent les soldats.

Elles éclatèrent au lendemain de l’échec de la sanglante offensive du 16 avril, lancée par le général Nivelle sur la ligne du Chemin des Dames, qui avait entraîné en quelques jours la perte de plus de 200 000 hommes. Impliquant les deux tiers des unités de l’armée française sous une forme ou sous une autre et des dizaines de milliers de soldats, elles se prolongèrent pendant plusieurs mois. L’agitation gagna certaines villes, notamment autour des gares où arrivaient et repartaient les trains de permissionnaires, faisant craindre aux autorités une « contagion » générale. Pour la première fois depuis 1914, le chant de l’Internationale se faisait de nouveau entendre.

Dans la plupart des cas, le commandement ne disposait pas de troupes suffisamment fiables pour réprimer ces mutineries par la force armée. Il dispersa d’abord les unités, en détacha les soldats les plus suspects avant que la justice militaire ne s’abatte. Sous l’impulsion du général Pétain, 530 condamnations à mort ou à perpétuité furent prononcées entre le 1er mai et le 30 septembre 1917. Plus de deux mille soldats allaient être déportés dans les colonies.

Vent de révolte dans les armées

Vingt mille soldats avaient été expédiés par le tsar Nicolas II en France en 1916 en échange de matériel de guerre. Rejetant l’autorité de leurs officiers et le vieil ordre social qu’ils représentaient, ils avaient formé des soviets sur le front français au lendemain de la Révolution de février, manifesté le 1er mai de leur calendrier en conspuant leur commandement. Ils furent déportés vers le Camp de La Courtine, dans la Creuse, où ils furent réprimés à coups de canons et de mitrailleuses trois mois plus tard. Leur reddition mobilisa près de dix mille soldats.

Au cours de ce même mois de septembre, les soldats britanniques stationnant dans le camp d’Étaples, au sud de Boulogne-sur-Mer, se soulevèrent six jours durant. La discipline tyrannique imposée par les officiers et la police militaire de ce camp d’entraînement avait mis le feu aux poudres, mais le refus des offensives meurtrières dans lesquelles ces soldats étaient continuellement lancés en constituait le ressort. La répression fut là encore sans pitié. D’autres unités britanniques, dont certaines troupes coloniales, connurent à leur tour de tels mouvements : ils furent impitoyablement brisés.

Il en alla de même en Allemagne, où la révolte des équipages de la flotte à l’été 1917 exprimait la volonté d’une fraction des troupes d’en finir avec la guerre. Et c’est ce même sentiment qui animait les soldats de l’armée italienne au lendemain de la défaite de Caporetto à l’automne 1917. 300 000 d’entre eux se rendirent, la plupart sans combattre, tandis que 300 000 autres entamèrent une marche pour rentrer chez eux. Le commandement parvint à reprendre les choses en main de la façon la plus brutale, n’hésitant pas à pratiquer la décimation de certaines unités (en fusillant littéralement un homme sur dix).

Ainsi, en cette année 1917, au moment où le prolétariat russe accomplissait une révolution victorieuse, la montée des grèves et la multiplication des mutineries annonçaient une montée révolutionnaire qui, à des degrés divers, allait toucher tous les pays belligérants. À la fin de la guerre, cette vague révolutionnaire allait menacer la domination de la bourgeoisie sur l’ensemble du continent européen.

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