Dans le monde

Argentine : il y a 40 ans, le 30 avril 1977, les Mères de la place de Mai contre la dictature

Le 30 avril 1977, il y a quarante ans, en Argentine, celles qu’on allait désormais appeler les Mères de la place de Mai, organisaient leur première ronde. Face au palais présidentiel de Buenos Aires, la Maison rose, elles exigeaient de la junte militaire au pouvoir des nouvelles de leurs enfants, militantes et militants emprisonnés par l’armée. Depuis, elles sont devenues grands-mères, mais elles n’ont jamais cessé de marcher chaque jeudi à 15 h 30.

En même temps qu’elles lançaient cette première protestation, les Mères demandèrent au chef de la junte, le général d’infanterie Jorge Videla, un rendez-vous qu’il déclina. Qu’elles osent se manifester en pleine dictature militaire les fit désigner un temps comme les « folles de la place de Mai ». Les premières dirigeantes de ce mouvement, notamment Azucena Villaflor, furent assassinées, victimes d’un militaire infiltré, Astiz, qui allait y gagner le sinistre surnom d’« Ange de la mort ». La constance et la ténacité des Mères finit par attirer le respect.

Le 24 mars 1976, l’armée argentine avait mis fin à un gouvernement civil jugé par elle incapable de ramener l’ordre dans une société agitée alors par la contestation ouvrière contre le patronat mais aussi contre les bureaucraties syndicales, les guérillas péronistes ou castristes et le militantisme de toute une jeunesse attirée par le marxisme et les idées révolutionnaires. Depuis, la répression battait son plein. L’armée arrêtait, emprisonnait, torturait et éliminait les militants ouvriers, qui allaient représenter 30 % des victimes de la répression, ainsi que les militants d’extrême gauche.

Mais cette guerre sanglante contre ce que les militaires appelaient indistinctement la « subversion marxiste » était dissimulée. Les familles n’avaient aucunes nouvelles de ceux qui étaient arrêtés. La police n’était pas forcément informée par l’armée et savoir où étaient les emprisonnés était quasi impossible. C’est ce qui conduisit un groupe de parents à se regrouper pour connaître la vérité. Ces femmes et ces hommes, qui en général n’avaient pas d’engagement antérieur, allaient ainsi se lancer dans une action qui n’a jamais vraiment cessé depuis.

En tentant de leur répondre dans une intervention télévisée, le général Videla, involontairement, mit un nom sur les victimes de la répression : « les disparus ». Il ne niait pas que des militants avaient été arrêtés mais, selon lui, ils avaient été relâchés et avaient disparu... On parle de 30 000 disparus.

Le pays se couvrit de centaines de lieux de détention. Certains étaient des camps militaires comme l’École de la marine, l’Esma, dirigée par l’amiral Massera, ou le camp de Mai, dirigé par Videla lui-même, mais c’était aussi parfois de simples villas. Dans tout le pays, l’armée arrêtait, regroupait les militants pour leur arracher des informations puis les éliminait. Dans la capitale, par exemple, on annonçait aux détenus leur transfert. On les droguait puis on les jetait depuis un avion dans le rio de la Plata, qui finit dans l’océan Atlantique. L’armée espérait qu’ainsi les cadavres disparaîtraient sans laisser de trace, mais parfois on retrouvait des corps sur la rive...

Les jeunes femmes enceintes avaient un sursis. On les laissait accoucher avant de les tuer. Quelque 500 bébés furent ainsi mis au monde en détention et ensuite adoptés par des couples en mal d’enfants dans l’armée, la police mais aussi dans la bourgeoisie.

Cela offrit un autre champ d’action aux Mères qui partirent à la recherche de leurs petits-enfants. Là encore, elles furent tenaces et, involontairement, aidées par la justice. Après la dictature, les politiciens, radicaux comme péronistes, avaient finalement mis en place deux lois pour exonérer l’armée de ses crimes. Mais les juristes oublièrent la question des enfants adoptés et on pouvait toujours poursuivre les militaires pour vol d’enfants. À ce jour, en jouant les détectives et en utilisant les ressources de l’analyse d’ADN, les Mères, devenues grands-mères, ont retrouvé le quart de ces bébés.

Ce fut un choc supplémentaire pour la société argentine quand certains découvrirent, parfois à près de 40 ans, que leurs parents étaient les complices des assassins de leurs vrais parents. Cette quête continue toujours. Loin d’être folles, ces femmes de la place de Mai ont donné une leçon de courage.

Partager