Russie : après l’attentat de Saint-Pétersbourg05/04/20172017Journal/medias/journalnumero/images/2017/04/2540.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie : après l’attentat de Saint-Pétersbourg

L’attentat dans le métro de Saint-Pétersbourg, lundi 3 avril, a fait une douzaine de morts et plusieurs dizaines de blessés. Cet attentat ayant eu lieu durant une visite officielle du président russe Poutine à Saint-Pétersbourg, cela lui donne une résonance que le Kremlin s’est empressé d’exploiter. Son chef, Poutine, y apparaît comme la cible des terroristes. Et c’est ainsi que le pouvoir russe, dès le lundi soir, a cherché à mettre en scène ces événements sanglants. Il y ajoute une deuxième pose : celle de Poutine en protecteur du peuple russe contre le terrorisme.

Cette ficelle, Poutine en avait déjà fait sa marque de fabrique à l’époque où il avait succédé à Eltsine, fin 1999. En effet, entre le moment où Eltsine l’avait choisi et celui où son successeur s’était fait élire président, trois mois s’étaient écoulés durant lesquels une vague d’attentats répétés et très meurtriers s’était abattue sur le pays. S’ils n’ont jamais été élucidés et s’ils ont tous été entourés de circonstances très troublantes, où apparaissaient la main des services de police, c’est sans doute que la police politique et les services secrets (où Poutine avait fait carrière) avaient laissé commettre ces attentats, voire, dans certains cas, y avaient directement aidé. En tout cas, tout s’était passé comme si cette vague de terreur avait été planifiée afin de permettre à Poutine, ce quasi-inconnu succédant à Eltsine à la tête du pays, de poser à l’homme fort, de se faire élire président et de lancer dans la foulée la deuxième guerre de Tchétchénie, en soudant la population russe derrière lui.

Cette fois-ci, Daech ou d’autres mouvements de la mouvance du terrorisme islamiste peuvent vouloir montrer au public qu’ils visent, dans le monde mais aussi dans le Caucase russe notamment, et pas seulement en Tchétchénie, ainsi que dans les ex-républiques soviétiques d’Asie centrale, qu’ils peuvent frapper n’importe où au cœur des puissances qui leur font la guerre. Et, dans le cas russe, il s’agit d’un État qui mène une guerre dont on parle moins maintenant, mais qui continue dans certaines régions de traditions musulmanes. Donc, un attentat de Daech en Russie n’est pas une hypothèse à exclure, vu la politique guerrière du Kremlin.

Cela étant, force est de constater que cet attentat survient à point nommé pour Poutine, son Premier ministre Medvedev et le régime en général. En effet, ces derniers temps, ils ont été directement la cible d’une protestation qui s’est exprimée dans la rue. Dimanche 26 mars, on a ainsi assisté à de grandes et nombreuses manifestations non autorisées, les premières depuis 2011. Ces manifestations entendaient dénoncer la corruption, et le pouvoir qui en profite et la protège. Elles font suite à la diffusion, bien sûr non autorisée, d’un film réalisé par Alexieï Navalny, qui met notamment en cause l’immense empire immobilier que s’est constitué par des moyens frauduleux le Premier ministre, et qu’il gère pour son compte et pour celui d’oligarques amis.

Ce film a fait sensation : il a été vu par 14 millions de personnes sur le Net, bien plus que n’importe quel film commercial. Et cette mise en cause des puissants a fait que, outre des petits bourgeois du monde des affaires, des jeunes lycéens et étudiants nouveaux venus à la vie politique, il y avait dans les manifestations et rassemblements des retraités, des travailleurs. Et ce qu’ils exprimaient, quand certains prenaient la parole, c’était des problèmes qui touchent directement les travailleurs : les salaires non versés, les routes laissées à l’abandon, les écoles et l’éducation qui manquent de subventions... Ils posaient des questions bien plus larges que le seul problème de la corruption. Ils dénonçaient le fait que le système bureaucratico-mafieux fonctionne au détriment de larges couches de la population, en particulier des classes populaires.

Dimanche 2 avril, des tentatives de recommencer pareilles manifestations ont été réprimées dans l’œuf à Moscou, avec des dizaines de nouvelles arrestations. La place Pouchkine, lieu de rassemblement des manifestants, a aussitôt été entourée de hautes palissades pour la rendre inaccessible au public, sur fond de présence policière renforcée. Cela aura-t-il un effet durablement dissuasif ? En tout cas, ce ne sont pas des palissades qui pourraient masquer les tares du système et le fait que, malhonnête (avec Poutine) ou supposé honnête (si on l’épurait, comme le laisse entendre Navalny), il fonctionne sur le pillage de l’économie et de la population par une minorité de bureaucrates, d’affairistes et de nouveaux bourgeois.

Les morts et les blessés de Saint-Pétersbourg, ainsi que le second attentat qui y aurait été déjoué, suffiront-ils à faire oublier tout le reste aux classes populaires de Russie ? Personne n’a la réponse. Mais c’est ce qu’espèrent Poutine, Medvedev et leurs pareils.

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