La question de la paix22/03/20172017Journal/medias/journalnumero/images/2017/03/2538.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Russie 1917 : la révolution au fil des semaines

La question de la paix

En Russie, la chute du tsarisme à la fin février 1917 avait laissé entière la question de la guerre. Conscients de l’aversion grandissante de la population envers cette tuerie de masse, les dirigeants du soviet de Petrograd adoptèrent dans un premier temps des textes qui semblaient marquer une rupture complète avec l’ancien régime. Tel fut notamment le cas, le 14 mars 1917 (27 mars selon le calendrier actuel), de l’Appel du soviet aux peuples du monde entier :

« Camarades prolétaires, travailleurs de tous les pays !

Nous, soldats et ouvriers russes, unis au sein du soviet des députés ouvriers et soldats, vous envoyons nos salutations chaleureuses et vous informons d’un grand événement. La démocratie russe a renversé le despotisme des tsars (…). Le pilier de la réaction dans le monde, le gendarme de l’Europe n’est plus. Puisse-t-il être enterré pour toujours. Vive la liberté. Vive la solidarité internationale du prolétariat et vive son combat pour la victoire finale. (…)

Ainsi, en appelant tous les peuples détruits et ruinés par cette guerre monstrueuse, nous disons que l’heure est venue de mener un combat décisif contre les ambitions annexionnistes des gouvernements de tous les pays ; le temps est venu pour les peuples de prendre entre leurs mains les décisions, en ce qui concerne les questions de paix et de guerre. Consciente de sa puissance révolutionnaire, la démocratie russe annonce qu’elle s’opposera à la politique de conquête de ses classes dirigeantes par tous les moyens et elle invite les peuples d’Europe à une action commune et décisive en faveur de la paix. (…)

Travailleurs de tous les pays, tendant nos mains comme des frères par-dessus les montagnes des corps de nos morts, par-dessus les rivières de larmes et de sang coulé innocemment, par-dessus les ruines encore fumantes des villes et des villages, par-dessus les trésors détruits, nous faisons appel à vous pour restaurer l’unité internationale. Telle est la garantie de nos victoires futures et de la libération complète de l’humanité ! Prolétaires de tous les pays, unissez-vous. »

Mais très vite, sous la pression de la France et de la Grande-Bretagne, auprès desquelles la Russie tsariste s’était lourdement endettée, le gouvernement provisoire, soutenu par la majorité du soviet de Petrograd aux mains des socialistes modérés, se rallie à la guerre et aux buts de guerre de l’ancien régime. Il prétexte que celle-ci a changé de nature, qu’il faut désormais la mener « jusqu’à sa fin victorieuse ». Ministres et représentants des partis socialistes français, anglais et belge sont même dépêchés en Russie pour galvaniser les troupes. Mais remettre l’armée en ordre de bataille se révèle impossible : elle continue à se désagréger.

Trotsky raconte : « Le soldat considérait maintenant une pile de projectiles avec autant de dégoût qu’un tas de viande pourrie de vers : tout cela lui semblait superflu, inutilisable, c’était duperie et filouterie. » Puis, citant un délégué du front, Trotsky poursuit : « La discipline se maintenait à peu près tant que les soldats comptèrent sur des changements rapides et décisifs. Mais lorsqu’ils virent (…) que tout continuait comme par le passé, même oppression, même esclavage, mêmes ténèbres, mêmes vexations, les troubles commencèrent. (…) Le tissu usé de la discipline se déchirait places par places, en divers moments, dans différentes garnisons et divers corps de troupe. Tel commandant, fréquemment, s’imaginait que, dans son régiment ou sa division, tout allait bien, jusqu’à l’arrivée des journaux ou d’un agitateur du dehors.

En réalité s’accomplissait le travail de forces plus profondes et plus irrésistibles. On ne pouvait compter sur le moral de l’armée. Ce que l’on peut formuler ainsi : l’armée, en tant qu’armée, n’était déjà plus. »

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