Dans le monde

Russie : les droits des femmes régressent

La Douma – l’Assemblée nationale russe qui a repris un nom et des traditions venant du tsarisme – a adopté en deuxième lecture un projet de loi qui allège les peines pour les violences commises au sein de la famille. La députée ultraconservatrice auteure de ce projet l’a justifié de considérations toutes plus misogynes et rétrogrades les unes que les autres : le respect des « traditions familiales », des « valeurs » de la Russie éternelle, la « faiblesse » morale des femmes. Cela sans soulever un tonnerre d’indignation.

Dans ce pays où l’on estime qu’une femme meurt toutes les heures de violences domestiques et que 650 000 femmes subissent régulièrement les coups d’un conjoint ou d’un proche, cette loi sonne comme un encouragement à leurs tourmenteurs.

Les auteurs de violences conjugales, d’ailleurs rarement poursuivis, savent donc qu’ils bénéficieront de l’indulgence de la justice, si cette loi passe. Et c’est probable, car elle a été voulue et portée par les milieux cléricalo-réactionnaires qui donnent le « la » au sommet de l’État depuis que l’URSS a disparu, fin 1991.

La Révolution russe, qui donna naissance à l’Union soviétique, avait débuté par une manifestation d’ouvrières de Petrograd, à l’occasion de la Journée internationale des femmes, le 8 mars 1917.

Huit mois plus tard, la révolution d’Octobre instaura le pouvoir des soviets. Il accorda d’emblée aux femmes l’égalité juridique avec les hommes et toute une série de droits dont elles avaient été privées jusque-là : égalité juridique homme-femme, droit de vote et d’être élue à toutes les fonctions, union libre et mariage mis sur un même pied, divorce sur simple demande, droit à l’avortement, congés maternité payés, pension alimentaire obligatoire en cas d’abandon d’un enfant par son père... S’y ajouta la création de crèches, d’écoles prenant en charge les enfants pour soulager leurs mères, ou encore de cuisines collectives. Ces mesures restèrent limitées, du fait de l’extrême pauvreté du pays accrue par la guerre civile. Mais le jeune pouvoir soviétique voulait – et fit tout son possible en ce sens – que les femmes aient enfin accès à l’éducation, qu’elles prennent toute leur place dans la nouvelle organisation sociale, qu’elles y exercent des responsabilités à tous les niveaux.

Le stalinisme remit cela en cause, comme bien des acquis de la révolution d’Octobre. Mais, dans la Russie actuelle, le balancier de la réaction va encore plus loin en arrière. Et, comme toujours en pareilles circonstances, les femmes sont les premières à en pâtir.

Nombre d’institutions, dispositions et équipements dont elles disposaient du temps de l’URSS ont disparu ou été privatisés, ce qui les rend inaccessibles au plus grand nombre. Plus que jamais, les femmes se retrouvent avec les emplois les plus mal payés, ou souvent au chômage. De nombreux employeurs refusent désormais de leur accorder des congés maternité, des jours payés pour enfant malade – une catastrophe dans ce pays où les femmes élevant seules un ou plusieurs enfants sont très nombreuses.

Le droit à l’avortement, que Staline avait aboli mais que Khrouchtchev avait rétabli, a été restreint de diverses manières. Des politiciens proches de Poutine et l’Église orthodoxe, patriarche Kirill en tête, veulent carrément l’interdire.

Un porte-parole de cette Église a appelé à instaurer un code vestimentaire pour les femmes, en donnant en exemple le port obligatoire du voile islamique en république russe de Tchétchénie. Un autre est allé jusqu’à décrire le retour à la pratique barbare de l’excision des petites filles dans des régions du Caucase comme une garantie de la moralité féminine ! Il a ajouté que les Slaves d’origine orthodoxe, vertueuses par nature, n’en avaient pas besoin…

Il y a l’explosion de la prostitution, conséquence directe de l’effondrement brutal du niveau de vie lié à la fin de l’URSS. De façon plus générale, on assiste au retour en force de préjugés misogynes, de comportements machistes. Cela sur fond de marchandisation de l’image de la femme dans les médias, la publicité, lesquels collent aux goûts et mœurs des gouvernants, bureaucrates, mafieux et hommes d’affaires qui, tenant le haut du pavé, imposent leurs « valeurs » de prédateurs à toutes et à tous, avec la bénédiction de l’Église.

Le socialiste Fourier affirmait, voici plus d’un siècle et demi, que « le degré d’évolution d’une société se mesure au degré d’émancipation de la femme ». Le recul dramatique que cela implique en Russie, les femmes le constatent amèrement. Pour y mettre un terme et repartir de l’avant, pour les femmes comme pour l’ensemble des exploités et opprimés de ce pays, le meilleur chemin est celui sur lequel s’étaient engagés celles et ceux de la génération de 1917.

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