Russie : derrière la non-surprise électorale21/09/20162016Journal/medias/journalarticle/images/2016/09/p10_Russie_elections_C_LO.JPG.420x236_q85_box-0%2C75%2C800%2C525_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie : derrière la non-surprise électorale

Avant même les élections législatives du 18 septembre en Russie, la victoire de Russie unie, le parti du président Poutine, était annoncée un peu partout, dans le pays comme à l’étranger. Il ne faut pas s’en étonner. D’abord, selon une tradition bien établie, ce scrutin – le dernier avant la présidentielle de 2018, où Poutine compte repartir pour un quatrième mandat – avait été organisé en haut lieu pour servir de tremplin à Poutine.

Illustration - derrière la non-surprise électorale

Ainsi, d’un bout à l’autre du pays, des commissions électorales avaient des instructions précises sur des fourchettes de scores que pouvaient se voir attribuer les partis en lice. À commencer par Russie unie, qui obtient 53 % des voix et 343 des 450 sièges à pourvoir.

Fraudes et opposition de façade

Mission remplie pour ce triomphe écrasant programmé, même si cette machine bien huilée a eu quelques ratés. Ici ou là, des caméras ont enregistré des bourrages d’urnes en règle. Des scrutateurs n’ont pu accéder aux bureaux de vote. Quant au journal Moskovski komsomolets, qui connaissait les résultats à l’avance, il a commis la bourde de les publier sur son site… la veille du scrutin.

Ces fraudes font partie du rituel électoral, comme le fait que les principaux partis censés représenter l’opposition – le Parti communiste (KPRF) de Ziouganov et le LDPR de l’ultranationaliste Jirinovski – sont depuis des années de fidèles soutiens du Kremlin. Avec 13 % des voix chacun, ces deux partis et quelques autres tout spécialement créés par le pouvoir pour occuper le terrain, telle Russie juste, se partagent le total des sièges restant à pourvoir.

Depuis que les élections massivement truquées de 2011 avaient donné lieu à des semaines de manifestations dans les grandes villes, le pouvoir russe a joué de la carotte et du bâton. Il a fait la chasse à toute forme d’opposition non avalisée par le régime, interdit des organisations, des ONG ou le principal institut de sondage, au prétexte qu’ils seraient des agents de l’étranger. Ayant ainsi fait place nette, il a ensuite pu s’offrir le luxe d’assouplir un peu les conditions pour constituer un parti ou se présenter à une élection. Cette fois-ci, 14 partis présentaient donc des candidats à la députation. Mais sans risque pour Russie unie, qui a trusté les immenses moyens étatiques de faire campagne, en sachant que l’opposition officielle ne lui créerait nul souci et que celle dite hors système n’avait pas les moyens matériels, et plus encore militants, de se faire entendre.

Dans ces conditions, le chiffre de participation à ces législatives, officiellement 49,7 % contre 61 % la fois précédente, reflète à sa façon, minorée pour les besoins du Kremlin, un désintérêt de la population pour des élections jouées d’avance et où elle ne se sent guère représentée par quelque parti que ce soit.

C’était particulièrement le cas à Moscou et Saint-Pétersbourg, où les autorités n’ont pas voulu afficher une participation qui aurait forcément été interprétée comme mensongère alors que, dans bien des milieux, nombreux étaient ceux qui disaient ne pas vouloir aller voter. Le Kremlin n’a bien sûr pas oublié comment, en 2011, sa fraude affichée avait débouché sur la dénonciation par la rue « des voyous et des voleurs » aux commandes.

Du beurre ou des canons

Le pouvoir a aussi d’autres bonnes raisons de ne pas provoquer la population. Avec la crise, le pays est entré en récession économique. L’État ne dispose plus comme avant des ressources provenant de l’exportation du gaz et du pétrole, dont les cours ont reculé de plus de moitié en deux ans. Du coup, dépenses publiques et budgets sociaux sont en recul. Cela, alors que le chômage repart à la hausse et que les salaires ont perdu 20 % de leur pouvoir d’achat en un an.

Poutine se présente comme celui qui, à la différence de son prédécesseur Eltsine, aurait apporté prospérité et puissance au pays, les deux étant liés dans la propagande officielle. Mais cela ne résiste pas à l’épreuve des faits. Le rattachement de la Crimée à la Russie, le rôle que l’Amérique et l’Europe concèdent à l’armée russe dans le conflit syrien, ne riment pas avec une amélioration réelle du sort des classes laborieuses. Au contraire, leur situation ne cesse de se dégrader. Et cela ne peut qu’empirer quand le Kremlin prévoit de doubler les effectifs et moyens de son armée déjà pléthorique.

Et si ces élections rappellent une chose, c’est que face au pouvoir des privilégiés, des bureaucrates et des affairistes corrompus, entourés du chœur complaisant de quatorze partis se voulant concurrents, il manque aux travailleurs de Russie un parti, des organisations qui fassent entendre leur voix, qui défendent haut et fort leurs intérêts de classe.

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