Turquie, attentat de Gaziantep : Erdogan face aux conséquences de sa politique24/08/20162016Journal/medias/journalnumero/images/2016/08/2508.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Turquie, attentat de Gaziantep : Erdogan face aux conséquences de sa politique

Plus de 50 morts et une centaine de blessés, c’est le bilan tragique de l’attentat dans la soirée du samedi 20 août, au cours duquel un kamikaze s’est fait exploser au milieu de la foule rassemblée pour célébrer un mariage kurde, à Gaziantep, dans le sud de la Turquie. Venant s’ajouter à une liste déjà longue, il replace aussi le gouvernement d’Erdogan face aux contradictions de sa politique.

Cette fois, c’est un jeune de 14 ans qui aurait actionné sa ceinture d’explosifs. Le procédé, la cible choisie, rapprochent cet attentat de ceux de Diyarbakir, de Suruç, de la gare d’Ankara, qui en 2015 ont fait des dizaines de morts parmi des manifestants de gauche, des Kurdes ou des sympathisants de leur cause, sans oublier celui de l’aéroport d’Istanbul en juin dernier. Cette fois, bien des familles présentes au mariage étaient proches du parti pro-kurde HDP.

Cependant, à la différence de ces précédents attentats, le président turc Erdogan n’a pas nié l’évidence. Il a immédiatement accusé l’organisation État islamique (Daech selon l’acronyme arabe) d’en être responsable, au lieu d’accuser le terrorisme en général et d’y inclure pêle-mêle Daech, la guérilla kurde du PKK et même ses frères ennemis de la confrérie Gülen.

Erdogan, grand vainqueur des putschistes...

Depuis un peu plus d’un mois, le gouvernement Erdogan vivait sur la lancée de l’échec de la tentative de coup d’État militaire du 15 juillet, parlant d’une réaction du peuple qui, selon lui, aurait permis de sauver la démocratie turque. Manifestations et meetings se sont succédé, les partis d’opposition sont venus à sa rescousse pour condamner le putsch et ont permis à Erdogan d’apparaître comme le grand vainqueur de l’épreuve. Mais, surtout, celui-ci a saisi l’occasion pour poursuivre à grande échelle l’entreprise d’épuration en cours visant ses rivaux de la confrérie Gülen.

Plus de dix mille personnes ont été arrêtées, des dizaines de milliers d’enseignants, de juges, de militaires, de policiers ont été suspendus car suspects d’être proches de cette secte islamique, rivale de celle d’Erdogan. Elle avait placé ses hommes à des postes de responsabilité dans la justice, l’enseignement, la santé, les institutions en général, les grandes entreprises, et aujourd’hui des hôpitaux et des universités sont fermés faute de personnel, des établissements d’enseignement se demandent comment ils pourront effectuer la rentrée scolaire.

On voit mal ce qu’il y a de démocratique dans cette épuration, qui est un règlement de comptes entre deux cliques qui s’étaient partagé les postes au sein de l’appareil d’État et qui maintenant sont engagées dans une lutte à mort. Le seul fait d’être suspect d’avoir appartenu à la filière Gülen suffit pour être suspendu, voire arrêté et accusé de complicité dans la tentative de putsch, qui a peut-être été préparée par certains de ses fidèles mais dans laquelle Gülen nie toute responsabilité. Et si cette fois la vague de répression ne vise pas spécifiquement la gauche, en fait personne n’en est à l’abri, comme l’ont constaté les journalistes du quotidien pro-kurde Özgür Gündem, arrêtés le 16 août à la rédaction de leur journal.

… face à l’impasse de sa politique

Cependant, la répression ne remplace pas une politique, et l’attentat du 20 août vient rappeler que celle d’Erdogan a eu des conséquences catastrophiques. Son soutien aux groupes djihadistes d’Irak et de Syrie, y compris et surtout à Daech, a permis à celui-ci de disposer de nombreuses complicités au sein de l’appareil d’État turc, y compris pour commettre ses attentats. Ses membres peuvent se mouvoir comme bon leur semble dans les régions frontalières de la Syrie, dont justement celle de Gaziantep. Les patrons turcs ont perdu de gros marchés au Moyen-Orient, mais aussi en Russie, depuis que la chasse turque a abattu un avion russe, fin 2015.

La question de la politique menée dans les régions kurdes est aussi posée. Après avoir engagé un processus de négociation avec le PKK, Erdogan a relancé la guerre durant l’été 2015, pour ses propres raisons de politique intérieure. Cela ne l’a mené nulle part, sinon à de nouvelles destructions, tandis que l’armée, affaiblie par les épurations suite à la tentative de putsch, est de moins en moins capable de mener cette guerre. Les relations se sont détériorées avec les États-Unis qui, eux, soutiennent les Kurdes d’Irak et de Syrie contre Daech. L’armée elle-même se demande où mène cette politique, et cela n’est certainement pas étranger à la tentative de putsch du 15 juillet et à l’attitude pour le moins ambiguë d’une grande partie de la hiérarchie militaire à l’égard du gouvernement.

En fait, depuis quelque temps, y compris avant la tentative du 15 juillet, Erdogan cherche à sortir de l’impasse. Il a renoué avec la Russie, est en train d’en faire autant avec l’Iran. Il serait même prêt à renouer avec le régime d’Assad et à rechercher un compromis pour en finir avec le conflit syrien. Il voudrait aussi parvenir à un accord dans la politique menée vis-à-vis des Kurdes qui, du côté syrien de la frontière, ont pris de fait leur autonomie à la faveur de la guerre civile. Or, si la Turquie infléchit ainsi sa politique, elle devra aussi lâcher les groupes djihadistes qu’elle a tant aidés à s’armer, à s’entraîner et à passer la frontière. C’est évidemment cela que ces groupes n’acceptent pas et Daech, en organisant des attentats meurtriers sur le sol turc, fait savoir à Erdogan qu’il peut lui faire la guerre.

Les cris de « Erdogan assassin » ont retenti lors de l’enterrement des victimes du 20 août. D’autre part, contredisant le président, le Premier ministre turc a déclaré n’avoir aucun élément sur les auteurs de l’attentat, comme s’il voulait d’avance en dédouaner Daech. Et même si l’armée turque a commencé à bombarder les positions de cette organisation en Syrie, on attend toujours de voir si le gouvernement Erdogan sera aussi efficace dans le combat contre les militants djihadistes présents en Turquie, et les complices dont ils disposent jusque dans la police, que quand il s’agit de traquer ses rivaux de la secte Gülen. La guerre menée dans les régions kurdes, où des quartiers entiers ont été détruits, tout comme l’horrible attentat de Gaziantep montrent que les populations kurde et turque risquent de payer encore de bien des souffrances la politique d’Erdogan.

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