Décembre 1995 : les accords de Dayton entérinaient l’éclatement de la Yougoslavie29/12/20152015Journal/medias/journalarticle/images/2015/12/exYougo.jpg.420x236_q85_box-0%2C51%2C832%2C519_crop_detail.jpg

il y a 20 ans

Décembre 1995 : les accords de Dayton entérinaient l’éclatement de la Yougoslavie

Il y a 20 ans, le 14 décembre 1995, étaient signés à Paris les accords restés sous le nom d’accords de Dayton, mettant fin à presque quatre années de carnage dans ce qui avait été la Yougoslavie. La guerre y fit 200 000 morts, essentiellement des civils, et plus de 4,5 millions de réfugiés et de personnes déplacées.

Illustration - les accords de Dayton entérinaient l’éclatement de la Yougoslavie

Au moment où des évolutions réactionnaires se manifestent un peu partout, ces événements dramatiques qui déchirèrent la Yougoslavie ne sont pas à ranger au rayon histoire, mais sonnent comme un avertissement. Le massacre des populations, la sinistre « purification ethnique » furent la conséquence directe de politiques menées par des dirigeants serbes ou croates, qui allèrent jusqu’à la guerre et l’éclatement du pays.

La montée de la surenchère nationaliste

Cet État multiethnique avait été créé en 1918 sur les décombres des puissances centrales vaincues et sous la tutelle des puissances victorieuses. La monarchie serbe, alliée de la France, avait uni sous sa férule les Slaves du Sud (les Yougoslaves), Serbes, Croates, Slovènes, mais aussi Monténégrins, Bosniaques, Macédoniens, ainsi que de nombreuses minorités non slaves. Alors que les puissances impérialistes rivales avaient attisé des nationalismes locaux pour tenter de jouer les peuples les uns contre les autres, une certaine unité s’était forgée durant la Seconde Guerre mondiale dans le combat contre l’occupant nazi. Ce combat avait fait naître un nationalisme à l’échelle yougoslave mené par des partisans ayant à leur tête Tito et le PC. Après la guerre, cette unité fut maintenue sous la direction de Tito, qui préserva un relatif équilibre entre les six républiques de la Fédération yougoslave, dont chacune était censée regrouper un des principaux peuples du pays, ainsi que des minorités diverses. Mais la mort de Tito en 1980, laissant vacante la place de celui qui avait incarné cette unité, aiguisa les ambitions des bureaucrates qui s’étaient construit des fiefs dans leurs républiques respectives. Dans un contexte de crise politique et d’une crise économique qui provoquait une montée des tensions sociales, dès 1987 un certain Milosevic, alors chef du Parti communiste de la république de Serbie, enfourcha les thèses nationalistes pour consolider et étendre son pouvoir.

Dès cette période, Milosevic choisit de s’appuyer sur le nationalisme serbe pour affirmer son pouvoir, notamment au détriment de la population albanophone, majoritaire dans la province du Kosovo rattachée à la Serbie. Il trouva sa voie en se faisant le défenseur d’une Grande-Serbie. Dès lors, il ne cessa de jeter de l’huile sur le feu des oppositions nationalistes.

En juin 1991, la Slovénie proclama son indépendance vis-à-vis de la Fédération yougoslave, suivie par la Croatie, ce que les dirigeants serbes ne pouvaient accepter. Milosevic s’appuya sur des milices, mélanges de bandes de repris de justice et de fanatiques nationalistes, pour faire monter les tensions interethniques là où elles n’existaient pas. Le dirigeant de ces milices, Seselj, déclarait ainsi : « Des hordes fascistes croates menacent les femmes et les enfants de nos villages. Elles planifient le génocide des Serbes. » Les premiers incidents sanglants éclatèrent entre Serbes et Croates. L’armée fédérale, dominée par les Serbes, précédée ou suivie par ces groupes paramilitaires, occupa les parties de la Croatie qui comptaient d’importantes minorités serbes. Elle s’attaqua à Vukovar, assiégea Dubrovnik. Il y eut des morts, des villages vidés de leurs habitants, serbes d’un côté, croates de l’autre.

Ce fut une guerre que la population, quelle que soit sa nationalité, n’avait pas voulue. Trois mois plus tard intervint un cessez-le-feu provisoire. Les ennemis de la veille, le Serbe Milosevic et le Croate Tudjman, s’entendirent alors sur un objectif commun : se partager la Bosnie, une autre des républiques yougoslaves, qui s’apprêtait, elle aussi, à proclamer son indépendance.

La guerre en Bosnie-Herzégovine

La Bosnie était, plus encore que le reste de la Yougoslavie, une mosaïque de populations entremêlées. On y trouvait 31 % de Serbes, 17 % de Croates et 43 % de Musulmans, une dénomination désignant ses habitants ni serbes, ni croates, qui n’étaient pas tous de confession musulmane.

Le 5 avril 1992, à Sarajevo, capitale de Bosnie, des dizaines de milliers de manifestants défilèrent en opposition à la guerre. L’armée serbe brisa la manifestation par la violence. Alors débuta un long siège de Sarajevo et une guerre de trois ans et demi avec son lot d’horreurs, de bombardements, de populations civiles déplacées et martyrisées, de camps de concentration, qui allait faire 12 000 victimes. Les milices armées par les dirigeants nationalistes serbes, mais aussi croates et musulmans bosniaques, pratiquèrent chacune l’épuration ethnique creusant un fossé de haine entre des populations qui jusque-là avaient vécu ensemble.

Des dirigeants impérialistes préoccupés de garder leurs zones d’influence.

Au début du conflit, les puissances impérialistes européennes, inquiètes d’une situation explosive au cœur du continent, tentèrent d’éteindre le feu par des missions de conciliation. En Bosnie, leurs représentants se contentèrent de discuter, puis nommèrent un médiateur, Lord Carrington, qui proposa un partage de la Bosnie en provinces ethniques. Arrivèrent ensuite des « forces d’interposition » de l’ONU... qui laissèrent la population livrée à ses bourreaux.

Les rivalités entre grandes puissances se manifestèrent très vite. L’impérialisme allemand jadis s’était appuyé sur le nationalisme croate. Aussi, quand la Slovénie et la Croatie proclamèrent leur indépendance, l’Allemagne s’empressa de la reconnaître. Le gouvernement français, lui, commença à apporter son soutien aux dirigeants serbes, suivant en cela la tradition de sa diplomatie. Il se déclara en faveur du maintien des frontières de la Yougoslavie. Puis, quand cette position devint indéfendable, il se fit le champion de la défense de l’indépendance de la Bosnie contre les Serbes.

La volonté des dirigeants yougoslaves de se partager des fiefs dans ce pays avait provoqué la guerre et conduit à sa désintégration. Les dirigeants des puissances impérialistes ne se préoccupèrent que du parti qu’ils pouvaient en tirer. Et par la suite, leur intervention, à chaque étape du conflit, aggrava et accéléra cette évolution.

Les accords conclus à Dayton, dans l’Ohio, en novembre 1995 et signés peu après à Paris, le furent sous l’égide des États-Unis. Peu enclins à risquer l’enlisement dans un nouveau bourbier, les dirigeants américains ne s’étaient intéressés au conflit que tardivement. « Il n’y aura pas d’usage unilatéral des forces des États-Unis. Nous ne sommes pas les gendarmes du monde », avait déclaré en 1992 le secrétaire d’État, James Baker. Mais quelques années plus tard, assumant précisément ce rôle de gendarme de l’impérialisme, les dirigeants américains intervinrent dans le conflit, accompagnant leur pression diplomatique d’une campagne de bombardements qui aggravèrent encore les souffrances de la population.

Les solutions envisagées par les uns et les autres des représentants impérialistes n’avaient rien à voir avec le respect des droits des peuples. Les accords de Dayton sanctionnèrent un découpage aberrant de la république bosniaque, un charcutage entre Serbes, Croates et Musulmans, avec des déplacements et regroupements forcés de populations à grande échelle. La fin de la guerre ouverte fut certes un soulagement pour elles. Mais il n’y eut de stabilisation qu’en apparence, car la situation avalisée par les grandes puissances était d’emblée invivable pour les peuples. Et elle l’est restée.

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