Il y a cinquante ans, Brésil, 1er avril 1964 : Le coup d'État des généraux et la fuite de Goulart02/04/20142014Journal/medias/journalnumero/images/2014/04/une2383.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Il y a cinquante ans, Brésil, 1er avril 1964 : Le coup d'État des généraux et la fuite de Goulart

Le 1er avril 1964, les Brésiliens se réveillaient sous un régime militaire. La veille, dans l'État du Minas Gerais, des généraux s'étaient soulevés. Ils avaient lancé leurs troupes en direction de Rio de Janeiro, qui n'était plus capitale depuis quatre ans, et avaient rallié les généraux des principaux États. Le soulèvement était appuyé par la droite, les évêques, la grande presse et la majorité des députés. Le jour même, le président João Goulart, qui était apparu comme le porteur d'une alternative de gauche au Brésil, s'exilait. Les États-Unis reconnaissaient le nouveau régime et, le 12 avril, le Parlement élisait président le chef d'état-major des armées.

Les généraux disaient avoir été contraints d'agir, prétendant qu'ils n'avaient fait que s'opposer à un coup d'État communiste imminent. Ils répétaient que leur « révolution démocratique, glorieuse et rédemptrice » était le produit d'un « mouvement civil et militaire » représentant « l'intérêt et la volonté de la nation » et menant « la lutte contre la corruption et le gaspillage ». Ils allaient rester vingt ans au pouvoir.

Un régime en crise

En 1964, le pays semblait à la veille d'une guerre civile. L'économie allait mal, après la prospérité des années de guerre et d'après-guerre, due aux exportations de produits agricoles vers les pays belligérants et à la construction d'industries nouvelles pour fournir les produits auparavant importés d'Europe et des États-Unis. Le mécontentement réunissait les grands propriétaires terriens, planteurs de canne à sucre et de café, et les industriels, dont les intérêts avaient souvent divergé.

Le chômage était important et les salaires étaient minés par l'inflation : 400 % en 1963. Les grèves se multipliaient pour tenter d'y répondre. La population urbaine avait doublé en dix ans et la classe ouvrière était déjà nombreuse. Aux travailleurs du commerce et des industries textiles et agroalimentaires traditionnelles, s'ajoutaient maintenant ceux de la sidérurgie et du pétrole.

La dictature de l'Estado Novo (1937-1945) avait encadré les travailleurs dans des syndicats d'État, corporatistes et policiers. Ces appareils syndicaux, contrôlés par l'État ou par des partis progouvernementaux, étaient une des bases du régime. L'après-guerre avait vu naître des organisations concurrentes, en particulier le Commandement général du travail (CGT) créé par des militants du Parti communiste.

Les petits paysans revendiquaient la terre. Ils ne voulaient plus voir leurs enfants mourir de faim. Ils ne supportaient plus l'esclavage imposé par les grands propriétaires et leurs hommes de main, avec la bénédiction des juges et des policiers. Dans la région du Nordeste s'était développé le mouvement des ligues paysannes, qui réclamait une réforme agraire radicale et se disait capable de mobiliser 200 000 paysans.

Même dans l'armée la contestation se faisait entendre. Les sous-officiers revendiquaient de meilleures soldes, le droit de se syndiquer et celui d'être candidats aux élections, comme les officiers.

La crise était aussi politique et institutionnelle. Depuis une trentaine d'années, le pouvoir des présidents avait reposé sur l'appareil d'État et sur les appareils syndicaux, bien plus que sur les partis ou les élus. Or ce pouvoir était de plus en plus contesté par les oligarchies régionales, les gouverneurs d'États, les maires de grandes villes et les généraux. En dix ans, un président s'était suicidé, un autre avait démissionné, et chaque succession présidentielle avait été difficile. En 1961 par exemple, à la suite de la démission de Jânio Quadros, le Parlement n'avait intronisé le vice-président João Goulart qu'après qu'il eut accepté une réduction considérable de ses pouvoirs.

La préparation du coup d'État

La droite et l'armée n'avaient jamais vraiment accepté Goulart qui, bien que grand propriétaire terrien, menait une politique « travailliste », faite d'accords avec les appareils syndicaux et de petits avantages concédés aux travailleurs. En 1963, il réussit à récupérer par un référendum la totalité des pouvoirs présidentiels. La droite se déchaîna alors contre lui, l'accusant d'être l'otage des communistes et de préparer un coup d'État.

Goulart n'avait rien d'un communiste. C'était un nationaliste qui, pour afficher une certaine indépendance vis-à-vis des États-Unis, maintenait des relations diplomatiques avec la Chine, l'URSS et même avec Cuba. C'était surtout un démagogue, prêt à promettre au peuple monts et merveilles, sans jamais passer aux actes.

Devant l'escalade de l'opposition qui appelait ouvertement à le renverser, Goulart radicalisa son langage. Le 13 mars, devant un meeting de 200 000 personnes à Rio, il promit les « réformes de base », en particulier la réforme agraire, le droit de vote aux soldats du rang et aux analphabètes (près d'un quart des 75 millions de Brésiliens). Il parlait d'exproprier certaines terres, de nationaliser des entreprises étrangères, de contrôler l'exportation des bénéfices. Le 24, il doubla les salaires des fonctionnaires civils. Aussi bien les grands propriétaires terriens que les industriels se sentirent menacés et appuyèrent les petits bourgeois qui manifestaient en foule contre l'inflation et les hausses de prix, mais aussi pour Dieu et la patrie, contre les communistes.

Là-dessus à Rio, le 26 mars, 1 500 quartiers-maîtres, matelots et fusiliers marins qui fêtaient l'anniversaire de leur association syndicale (interdite) refusèrent de se disperser et entrèrent en rébellion. Goulart négocia, les fit arrêter, mais les amnistia. Les généraux virent dans ce pardon un attentat contre le principe de commandement. Même ceux qui jusque-là soutenaient Goulart se tournèrent contre cet « homme dangereux » que dénonçait depuis longtemps le gouvernement américain.

On était dans les années de guerre froide. Les maréchaux et généraux brésiliens, qui avaient servi dans la Force expéditionnaire brésilienne lors de la guerre mondiale, entretenaient des liens étroits avec l'état-major américain. Ils décidèrent de déposer Goulart et de prendre le pouvoir, avec l'accord des États-Unis, qui envoyèrent au large des côtes brésiliennes une escadre pour les appuyer en cas de besoin. Ce ne fut pas nécessaire.

Une « divine surprise » due à l'aveuglement de la gauche

Contrairement aux attentes des putschistes eux-mêmes, le coup d'État n'eut à affronter aucune vraie opposition. Les officiers partisans de Goulart avaient changé de camp. D'ailleurs le président refusait tout affrontement, préférant s'exiler. Les chefs des syndicats et des ligues paysannes étaient largement coupés de leurs bases et leurs appels à la résistance restèrent sans écho. La grève des travailleurs des transports, qui paralysa Rio le 1er avril empêcha tout rassemblement de masse en soutien à Goulart.

Les illusions sur la loyauté de la troupe étaient telles que les 4 000 manifestants rassemblés ce jour-là à Rio devant le Club militaire accueillirent d'abord avec des applaudissements les soldats, qui les dispersèrent à coups de fusil. Contre les généraux, tous les espoirs reposaient sur le clan de l'armée prétendument légaliste et favorable à Goulart, et rien n'avait été fait pour alerter et mobiliser la population, et encore moins pour l'armer. Ainsi Carlos Prestes, le dirigeant du PC, déclarait que Goulart était « le porte-drapeau de la révolution brésilienne » et qu'il n'y avait pas « de conditions pour un coup d'État réactionnaire ».

Contrairement à d'autres en Amérique latine, le putsch ne se solda pas par un bain de sang. La répression sanglante, les tortures et les escadrons de la mort allaient se déchaîner plus tard, dans les années 1969-1974. Toutefois, au Brésil comme plus tard au Chili, les travailleurs ne purent s'opposer aux militaires, paralysés qu'ils étaient par des partis et des syndicats qui défendaient une illusoire « voie pacifique » vers le socialisme, pour ne pas avoir à s'en prendre à la bourgeoisie et à son appareil d'État. Ils allaient le payer par vingt ans d'exploitation effrénée, de bas salaires et de régime policier.

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