Editorial

Mandela, un symbole de la lutte mais pas un représentant des exploités

Depuis une semaine, Nelson Mandela est entre la vie et la mort. Les hommages affluent du monde entier, des pauvres, des puissants, des Noirs, des Blancs. Mais le consensus n'est que de façade. À travers Mandela, les Noirs d'Afrique du Sud et les opprimés du monde entier veulent saluer le combat d'un peuple contre la ségrégation raciale et pour la liberté et l'égalité.

Les dirigeants impérialistes saluent, eux, la politique de Mandela qui a consisté à limiter et à arrêter ce combat. Ils voient en Mandela l'homme de la « réconciliation » et de la « paix ». Mais la paix dont il s'agit est la paix sociale de la bourgeoisie et de l'impérialisme, qui fait qu'au sommet de la société on continue de s'enrichir quand, à la base, on s'appauvrit toujours et encore !

Le simple fait qu'Obama, le dirigeant de la première puissance impérialiste, puisse se reconnaître dans Mandela montre que ce dernier n'était pas un représentant des exploités.

Le combat contre l'apartheid fut le combat de tout un peuple, levé contre un régime infâme qui avait érigé la matraque, la torture et la prison en méthodes de gouvernement. Cette lutte a signifié autant de souffrances et de déchirements que de courage et de fierté.

À travers Mandela, c'est donc au peuple sud-africain, aux opprimés révoltés, à ceux de Sharpeville, de Soweto, aux mineurs, aux ouvriers massacrés, que les opprimés du monde entier peuvent rendre hommage.

Mais le combat contre l'apartheid est inachevé, justement du fait de la politique de Mandela et de son parti, l'ANC. À la fin des années 1980, les dirigeants blancs à la tête du régime sud-africain, confrontés aux révoltes et aux grèves incessantes, durent se résoudre à mettre fin au système d'oppression raciale. Ils choisirent de s'allier à Mandela et à l'ANC qui avaient du crédit auprès des masses noires, pour négocier une sortie de l'apartheid en douceur.

Il s'agissait de mettre fin aux lois consacrant l'oppression raciale, sans pour autant toucher à la mainmise des propriétaires blancs sur l'économie, sans remettre en cause les profits des multinationales, sans remettre en cause les intérêts des impérialistes, en particulier dans les mines.

Mandela était l'homme de la situation. Son long emprisonnement par le régime de l'apartheid avait fait de lui le symbole du combat contre l'oppression raciale. Mais il n'avait rien contre la propriété privée des terres et des mines, rien contre l'exploitation, rien contre le capitalisme, rien contre l'existence d'une élite... à condition que certains Noirs puissent s'y faire une place.

Les prolétaires et les pauvres, qui attendaient de la fin de l'apartheid une redistribution des terres et l'accès à un emploi, à des logements décents, à la santé, à l'eau courante et à des écoles de qualité, furent priés d'attendre au nom de la « réconciliation nationale ».

Ce sont ces choix-là que saluent aujourd'hui tous les hommes d'État qui se précipitent à son chevet. De Klerk, le dernier président blanc de l'apartheid, doit en effet à Mandela un fier service !

La fin de l'apartheid changea la vie de la classe privilégiée noire. Elle put, enfin, accéder aux affaires et surtout à la mangeoire de l'appareil d'État et de la corruption. Une minorité noire est ainsi devenue riche et même très riche, à l'instar de ceux surnommés les « diamants noirs ». Certains habitent dans les quartiers luxueux de la bourgeoisie blanche, protégés par des murs surmontés de grillages électrifiés et par des milices privées armées jusqu'aux dents.

Mais la fin de l'apartheid ne changea pas la vie des masses pauvres. Les ghettos noirs n'ont pas disparu car la grande masse des Noirs reste misérable, confrontée à des conditions de travail, de vie et de logement indignes.

Les inégalités, l'exploitation sont tout aussi féroces qu'elles l'étaient sous l'apartheid, comme l'a montré la grève des mineurs de Marikana, l'été dernier. Et les ouvriers comme les Noirs pauvres sont aujourd'hui matraqués, emprisonnés ou assassinés... par des policiers noirs !

Les lois raciales ont disparu, mais l'apartheid racial existe toujours de fait, parce que les Noirs sont restés les exploités et les pauvres, parce que l'exploitation et la division de la société en classes sont tout aussi efficaces pour diviser la population.

L'hommage populaire rendu à Mandela par les Noirs sud-africains atteste de leur soif de liberté et de leur aspiration à une vie meilleure. Mais celle-ci ne sera conquise, là-bas comme ici, que dans un combat contre l'ordre social capitaliste, de sorte qu'il n'y ait plus de privilèges ni de privilégiés, qu'ils soient noirs ou blancs.

Éditorial des bulletins d'entreprise du 1er juillet

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