Il y a 50 ans, mars-avril 1963 : Grève générale des mineurs contre le pouvoir gaulliste et malgré les directions syndicales21/03/20132013Journal/medias/journalnumero/images/2013/03/une2329.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

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Il y a 50 ans, mars-avril 1963 : Grève générale des mineurs contre le pouvoir gaulliste et malgré les directions syndicales

Après cinq semaines de grève, les mineurs reprenaient le travail le 5 avril 1963. Ils n'avaient que très partiellement obtenu satisfaction. Mais leur mouvement avait créé une crise politique, tenant en échec un gouvernement dirigé par de Gaulle et mettant, de fait, à l'ordre du jour la grève générale à l'échelle du pays. Mais les directions syndicales firent obstacle à l'élargissement de la lutte. Cela permit au gouvernement, sitôt le travail repris, de repartir à l'offensive.

À l'époque, les Houillères, entreprise nationalisée, étaient en pleine restructuration. Une année auparavant, à Decazeville, dans l'Aveyron, une grève avait duré deux mois contre les licenciements et les conditions de reclassement, suite à la décision du gouvernement de fermer les puits. Cette grève n'avait pas réussi à enrayer le mouvement de fermeture des mines, ce que le gouvernement Pompidou appelait déjà la « rationalisation » du secteur minier face à la concurrence de nouvelles énergies, pétrole et électricité.

Les mineurs réagissent

Au début de l'année 1963, les dix bassins houillers du Nord-Pas-de-Calais, de Lorraine, du Centre-midi étaient touchés par des grèves. Les mineurs, inquiets pour leur avenir, revendiquaient des augmentations de salaire.

CGT et FO avaient organisé une grève du rendement tandis que la CFTC (la CFDT, qui est issue de la CFTC, n'existait pas encore) appelait à la grève générale illimitée, ce qui lui valait de la part de l'hebdomadaire de la CGT, la Vie Ouvrière, ce commentaire : « Une petite organisation comme l'est la CFTC dans les mines peut se permettre de lancer des mots d'ordre irresponsables. Il est exclu que la grande organisation des mineurs de la CGT puisse voir les choses de cette façon (...) Chacun comprend qu'au moment où on manque de charbon à Paris jusque dans les asiles ou les hôpitaux, le gouvernement serait trop heureux de saisir l'occasion et de retourner la colère de ces victimes contre les mineurs. » Ce chantage fut utilisé tout au long de la grève, aussi bien par la CGT que par le gouvernement, dans le but de faire pression sur les mineurs. Ainsi, avant même le début de la grève, la CGT avait annoncé la couleur : pas question d'appeler à la grève générale.

Face à la montée générale du mécontentement ouvrier, la CGT avait lancé un mot d'ordre de grève de 48 heures à compter du 1er février, annulé sitôt que le gouvernement proposa des négociations. Elles s'engagèrent le 15 février avec la direction des Charbonnages, qui accorda une augmentation de salaire de 5,77 % pour l'année 1963, rejetée par les organisations syndicales (elles estimaient à 11 % le retard pris par les salaires). La CGT annonçait alors une semaine revendicative à partir du 1er mars, avec un temps fort d'une journée de grève totale, suivie d'une grève du rendement. La réaction du gouvernement fut immédiate. Il accorda dix minutes d'entretien aux trois confédérations, pour leur signifier d'arrêter ça tout de suite, faute de quoi les mineurs seraient réquisitionnés.

La réquisition des mineurs reste lettre morte

Non seulement la journée du vendredi 1er mars fut un succès avec la grève presque totale parmi les mineurs de fond du Nord-Pas-de-Calais et de Lorraine, mais, ce qui n'était pas prévu, la grève toucha également les mines de fer de Lorraine, divers gisements de potasse, de bauxite, d'uranium, des ardoisières, etc. Face à la grève, le gouvernement de Gaulle signa en urgence un décret de réquisition. Il concernait principalement les bassins de Lorraine et du Nord, mais resta sans effet, les mineurs refusant de descendre au fond. La CGT, la CFTC, la FEN, l'UNEF appelaient à une grève générale... de 15 minutes dans tout le pays pour la défense du droit de grève.

Au moment où la combativité des travailleurs exigeait une politique offensive, les directions syndicales faisaient du surplace. Nous écrivions dans Lutte de Classe, du 12 mars 1963 : « Les réactions des travailleurs de toutes les professions, le fait que des grèves de solidarité, de solidarité pure sans aucun objectif revendicatif, aient été suivies partout, est un indice de la combativité de la classe ouvrière. Les centrales syndicales se sont refusées à généraliser la grève (...). Cependant, elles ont dû engager des luttes (qu'elles ont limitées au maximum) telle la grève de deux heures de la SNCF ou la journée d'action de la métallurgie prévue pour jeudi (14 mars). » Le Figaro de son côté reconnaissait « tous les témoins le certifient, aujourd'hui comme hier, la base est plus intransigeante que la tête ».

Les mineurs se battent seuls

Les mineurs tinrent bon en effet, mais les centrales syndicales firent tout pour éviter d'étendre le mouvement à d'autres secteurs, y compris et surtout ceux de l'industrie privée comme l'automobile, qui auraient alors pu exercer une pression puissante pour contraindre le gouvernement à satisfaire les revendications. Pourtant, les débrayages se multipliaient et étaient massivement suivis chez les postiers, les gaziers, à l'EDF, chez les métallos et même chez les étudiants. L'opinion publique restait acquise aux grévistes, malgré les campagnes de dénigrement, et la solidarité s'exprimait financièrement.

Mais si « la grève générale est dans l'air », comme le notait la presse, les directions syndicales, et en particulier la plus puissante, la CGT, lui tournaient le dos. Un accord fut signé le 24 mars alors que la pénurie de charbon commençait à poser des problèmes sérieux au gouvernement. Il cédait une augmentation de salaire de 6,5 % au 1er avril 1963, une quatrième semaine de congés payés, une vague promesse de table ronde pour discuter de l'avenir de la profession. C'était loin du compte. À l'annonce de l'accord signé entre les directions syndicales et les Charbonnages, une vague de colère s'exprima, entre autres à Lens, Liévin et Hénin-Liétard. Les mineurs huèrent le secrétaire général de la Fédération CGT du sous-sol et refusèrent à 56 % à Lens, à 46 % à Hénin, de redescendre dans la mine. La grève se poursuivit et la reprise du travail totale se fit, difficilement, le 5 avril.

Gouvernement et patronat avaient pu mesurer la combativité des mineurs. Dès juillet, à la suite d'une grève de la RATP, de Gaulle et son gouvernement décidaient de mesures antigrèves. Dans les services publics, les grèves surprises seraient interdites. Un préavis de cinq jours francs devrait obligatoirement précéder tout mouvement de grève. Cette mesure est toujours en vigueur... mais cinq ans plus tard, c'était Mai 1968.

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