République d'Irlande : L'Église catholique et ses tortionnaires au service des possédants29/05/20092009Journal/medias/journalnumero/images/2009/05/une2130.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

République d'Irlande : L'Église catholique et ses tortionnaires au service des possédants

Après neuf ans d'enquête, la commission Ryan, chargée de faire le jour sur les sévices subis par des dizaines de milliers d'enfants dans les institutions pénales juvéniles de la République d'Irlande avant leur dissolution dans les années 1990, a fait son rapport. Celui-ci détaille l'expérience terrifiante de ces enfants, soumis pendant des années à un véritable esclavage et décrit les tortures morales, physiques, et souvent sexuelles que leur infligeaient des gardes-chiourme dont le sadisme dépasse l'imagination.

LA CLASSE POLITIQUE COMPLICE DE L'ÉGLISE

Surtout, ce rapport cloue au pilori l'Église catholique, qui administrait la plupart de ces institutions, et dont la hiérarchie a délibérément protégé les tortionnaires pour éviter le scandale. En même temps, il dénonce l'incurie d'un État qui n'a rien fait pour assurer la sécurité des victimes et qui, en plus, a fermé les yeux, longtemps après que le scandale eut éclaté.

Même aujourd'hui, alors que les responsabilités sont établies et les coupables connus, la Haute-Cour a imposé à la commission de taire les noms des coupables. Il n'est pas question de poursuites à leur encontre, pas plus qu'à l'encontre de la hiérarchie catholique qui les a couverts, et encore moins des politiciens qui se sont rendus complices de ces exactions.

Cette classe politique irlandaise, que la multiplication des scandales a contrainte à mettre en place une commission d'enquête, s'est même engagée par avance à en limiter les conséquences pour l'Eglise. Un accord passé en 2002 entre le gouvernement irlandais et les dix-huit principaux ordres religieux prévoit en effet que l'État indemnise les victimes, à condition qu'elles renoncent à poursuivre l'Église ou l'État. L'accord de 2002 prévoit en outre une contribution de 50 % des ordres signataires au fonds d'indemnisation, à concurrence d'un plafond de 127 millions d'euros. Or, aujourd'hui, les dépenses d'indemnisation atteignent la somme de 1,3 milliard d'euros. L'Église catholique s'en tirera donc avec une contribution inférieure à 10 %, bien qu'étant, et de très loin, l'institution la plus riche du pays !

UNE MACHINE DE GUERRE CONTRE LES PAUVRES

Mais c'est en fait d'un scandale d'une tout autre ampleur qu'il s'agit. Pratiquement toutes les institutions sociales de l'État sont concernées. Toutes n'ont pas encore été visées par des commissions d'enquête car, par exemple, nul n'a osé toucher au domaine sacro-saint de l'Éducation nationale. Mais celles qui l'ont été, par exemple les hospices psychiatriques, ont révélé des exactions comparables par leur nature, sinon par leur ampleur. Et dans tous les cas, c'est l'Église catholique qui se trouve au coeur du scandale.

C'est au 19e siècle, époque où l'Irlande était sous occupation anglaise, que remonte cette situation. Alors que la Couronne anglaise persécutait la majorité catholique, dont elle craignait les élans nationalistes, ce fut l'Église catholique qu'elle chargea, en 1844, de faire la police dans la population pauvre.

Alors qu'en Angleterre les municipalités enfermaient les chômeurs dans des bagnes (les fameuses « workhouses »), en Irlande, c'est à l'Église que la Couronne confia cette tâche.

Ainsi les blanchisseries Magdalene, créées au 18e siècle pour « réhabiliter » les prostituées, furent-elles transformées en prison, où l'on enferma pêle-mêle des mères célibataires, des femmes atteintes de handicaps mentaux ou accusées de vagabondage, ou des petites filles dont les familles étaient jugées trop pauvres pour les élever. De même, on enferma nombre de petits garçons et d'adolescents, dont le seul tort était d'être pauvres, dans des « écoles industrielles ». Ainsi se trouvèrent emprisonnés, dans toute l'Irlande, des dizaines de milliers de jeunes des milieux les plus pauvres, à la merci des curés et bonnes soeurs qui leur servaient de gardes-chiourme. Et, dans un contexte marqué par la bigoterie, le « salut » de ces pauvres, par définition possédés du démon, finit par justifier toutes les brutalités, toutes les humiliations et tous les abus de pouvoir.

Cet état de fait a perduré au 20e siècle, car il servait les intérêts des classes possédantes irlandaises. Malgré les explosions sociales qui précédèrent l'indépendance de la République d'Irlande, en 1921, l'aile la plus réactionnaire du mouvement nationaliste s'imposa au terme d'une guerre civile sanglante. Liée aux propriétaires fonciers, cette fraction l'était également à l'Église, au point d'enrôler le prélat catholique pour rédiger la Constitution actuelle. L'Église continua donc d'assurer le gros des fonctions sociales de l'État, des institutions pénales juvéniles à l'enseignement et la santé publique, conservant ainsi le poids qui lui permettait de maintenir l'ordre dans les rangs de la population pauvre.

C'est cela le vrai scandale que révèle le rapport de la commission Ryan, l'expression d'une dictature sociale dont l'Église n'est qu'un instrument particulièrement repoussant, et ceci dans tous les domaines de la vie sociale.

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