Editorial

Après le premier tour : La déclaration d'Arlette Laguiller le soir du 22 avril

Tout d'abord, je remercie de leur confiance et de leur conscience celles et ceux qui m'ont apporté leurs suffrages et leur soutien.

Comme il était évident, ce sont Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal qui vont disputer le deuxième tour.

La crainte de voir Bayrou ou Le Pen dépasser Ségolène Royal n'était entretenue que pour favoriser, dès le premier tour, un vote abusivement présenté comme utile.

Pour revenir sur le passé, je ne regrette pas, loin de là, car j'en suis fière, d'avoir été la seule à refuser en 2002 d'appeler à choisir entre deux hommes de droite et à refuser de voter pour Chirac, Chirac qui avait Sarkozy dans ses bagages. Et cela pour, paraît-il, faire barrage à Le Pen qui n'avait guère gagné de voix au premier tour et qui était présent au deuxième tour uniquement parce que Jospin, par sa politique, avait perdu deux millions et demi de ses électeurs. Chirac aurait été largement élu avec les seules voix de la droite. Le Pen n'avait donc aucune chance d'être élu mais, maintenant, Sarkozy a bien des chances de l'être.

Aujourd'hui Le Pen est toujours là et il l'est encore plus au travers des idées de Sarkozy, qui valent bien celles de Le Pen. En effet, ceux qui, trompés par l'appel du Parti Socialiste et du Parti Communiste qui voulaient ainsi éviter d'avoir à s'expliquer sur les raisons qui leur avaient fait perdre à eux deux quatre millions de voix, ont voté pour Chirac, ont dû subir Sarkozy pendant cinq ans et le retrouvent maintenant bien plus puissant que Le Pen ne l'était.

Alors, à ce deuxième tour d'aujourd'hui, il n'y a aucun vote utile pour les travailleurs.

Car Sarkozy, bien évidemment, et Ségolène Royal pas plus que lui ne lèveront le petit doigt pour résoudre les problèmes majeurs des classes populaires que sont le chômage, la baisse continuelle du niveau de vie ou la dramatique crise du logement.

Cependant, je souhaite de tout coeur que Sarkozy soit battu, car son arrogance ne mérite que cela et son programme ne vise qu'à combler de cadeaux le patronat et, en particulier, le plus puissant. Les mesures qu'il a annoncées sont dans la continuation de ces cinq ans du pire gouvernement que nous ayons eu depuis longtemps, c'est-à-dire pressurer les pauvres pour donner plus et plus à ceux qui s'enrichissent aux dépens de la population.

Je voterai donc pour Ségolène Royal. Et j'appelle tous les électeurs à en faire autant. Mais si je fais ce choix c'est uniquement par solidarité avec tous ceux qui, dans les classes populaires, déclarent préférer " tout sauf Sarkozy ".

Je rejoins et je partage leur volonté de chasser Sarkozy, mais je leur dis pourtant que Ségolène Royal n'améliorera pas, pas plus que Sarkozy, le sort des classes populaires.

Aussi bien Ségolène Royal que Sarkozy sont dans le camp du capital, dans le camp des spéculateurs, des exploiteurs et des licencieurs, et en sont de bons et loyaux serviteurs. L'un et l'autre ne feront que favoriser la grande bourgeoisie, comme ils l'ont tous deux fait dans les gouvernements auxquels ils ont participé, soit actuellement, soit il y a cinq ans.

C'est leur appartenance commune au camp du grand patronat qui leur rendra impossible, à l'une comme à l'autre, de résoudre les problèmes essentiels de la population, c'est-à-dire avant tout, je le répète, le chômage massif, la crise dramatique du logement populaire et la baisse continuelle du pouvoir d'achat.

Les résultats de ce premier tour laissent supposer, si l'on fait le total des reports à gauche comparé aux reports à droite, que Ségolène Royal n'a que peu de chances de l'emporter au second.

Mais c'est elle qui a choisi un tel risque ! Choisi de faire une campagne neutre, plus tournée vers le patronat grand et moyen, que vers les classes populaires.

Des cadeaux précis pour le premier, uniquement des mots vagues pour les seconds.

Une campagne incapable de soulever l'enthousiasme de ceux qui sont écartés du progrès social, une campagne qui ne comptait que sur l'effet de repoussoir de Sarkozy et qui ne voulait pas déplaire au patronat.

Mais le désespoir ne suffit pas à susciter l'espoir.

Alors, si c'est sans réserve que j'appelle à voter pour Ségolène Royal, c'est absolument sans illusion sur ce qu'elle-même et tous les anciens ministres que sont les dirigeants du Parti Socialiste feront s'ils parviennent au pouvoir.

Je suis absolument solidaire de toutes celles et de tous ceux qui veulent voter pour Ségolène Royal. Mais je leur dis qu'ils seront immanquablement et très rapidement déçus, comme ils l'ont été il y a cinq ans par le gouvernement Jospin.

Ségolène Royal, si elle est élue, ne sera pas pire que Sarkozy, mais elle ne sera pas meilleure ! Elle ne prendra peut-être pas toutes les mesures en faveur des privilégiés que la droite prend en ce moment, mais sous son mandat, et avant même le terme des cinq ans, nous aurons bien des désillusions, comme nous en avons eu avec le précédent gouvernement socialiste.

À moins de lui imposer, exactement comme nous aurions à les imposer à Sarkozy, nos principales revendications par des mouvements sociaux suffisamment forts et solidaires.

J'ai dit tout cela dans ma campagne, mais beaucoup d'électeurs ont pensé qu'ils devaient faire, au premier tour, un vote qu'ils ont cru utile.

À ceux-là je dis qu'ils se sont trompés.

Leur vote du premier tour n'aura été ni un vote ni un choix utiles. Quant au second tour, peut-être servira-t-il, je l'espère, à écarter Sarkozy, mais il ne servira pas à écarter une politique pro-patronale, que ce soit Sarkozy ou Royal qui l'applique.

Mais c'est donc pour m'associer aux souhaits qui sont sans doute ceux de la majorité du monde du travail, ce monde qui a toujours été et est encore mon seul camp, que je choisis de voter et d'appeler à voter pour Ségolène Royal.

Mais je suis convaincue que tous les travailleurs devront, quel que soit l'élu, se retrouver très rapidement, ensemble, sur le chemin des luttes.

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