Divers

Lire : L'an I de la révolution Russe, de Victor Serge

Le 7 novembre 1917, à la tête des ouvriers et des soldats de Petrograd organisés en Soviets (conseils), les bolcheviks prenaient le pouvoir. Pour eux, c'était là le premier pas, le commencement de la révolution mondiale devant mettre à bas la vieille société capitaliste qui venait de plonger l'Europe dans la barbarie de la Première Guerre mondiale. Un an plus tard, jour pour jour, la révolution éclatait à Berlin. La république socialiste était proclamée du balcon du palais impérial par Karl Liebknecht. Malgré toutes les difficultés qui allaient surgir, la flamme allumée à Pétrograd et à Moscou par les révolutionnaires russes semblait devoir embraser l'Europe entière...

Le livre de Victor Serge, aujourd'hui réédité, fait revivre cette première année du jeune pouvoir révolutionnaire soviétique dirigé par Lénine et Trotsky. Et il le fait comme seul peut le faire quelqu'un qui a participé à tous les événements, qui a été un militant de la révolution.

Victor Serge, de l'anarchisme...

Né dans une famille pauvre d'intellectuels révolutionnaires russes, réfugiés en occident, Victor Serge rejoignit d'abord le mouvement de la jeunesse socialiste de Belgique. Puis, à Paris, agacé et déçu par l'opportunisme grandissant des partis sociaux-démocrates, il rallia l'anarchisme et fréquenta les milieux " illégalistes " qui justifiaient ce qu'ils appelaient la " reprise individuelle " (le vol) pour échapper au " bagne de l'usine ", et d'où allaient sortir la " bande à Bonnot ". Cela lui valut cinq ans de réclusion en centrale. Libéré, il fit un bref séjour à Barcelone et fréquenta des militants ouvriers anarcho-syndicalistes. Après un séjour forcé dans un camp de détention français pour révolutionnaires russes, il parvint enfin à gagner la Russie de ses parents... au moment où les bolcheviks venaient de prendre le pouvoir. Immédiatement il les rejoignit. C'était, à ses yeux, le seul parti apte à mener à bien cette révolution porteuse d'espoir pour les opprimés du monde entier.

...à la Russie révolutionnaire

De 1925 à 1928, lorsque Victor Serge écrivit L'An I, une dizaine d'années s'était écoulée. La Russie révolutionnaire restait désespérément isolée. En Europe et en Chine, les travailleurs révolutionnaires avaient été ou allaient être vaincus. En Allemagne, le Parti Social-Démocrate s'était lui-même constitué en dernier rempart de l'Etat de la bourgeoisie, armant des troupes de mercenaires d'extrême droite pour massacrer par centaines les ouvriers, pour détruire leurs " Conseils " et assassiner leurs dirigeants, Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht.

Dans la Russie affamée et soumise aux épidémies, conséquences de la désorganisation et de la destruction de l'économie provoquées par le sabotage des anciennes classes dirigeantes, par la guerre civile et par le blocus des grandes puissances impérialistes qui, comme la France, envoyèrent des corps expéditionnaires combattre la révolution, Staline commençait son ascension vers le pouvoir absolu en s'appuyant sur les nouvelles couches sociales privilégiées de la bureaucratie. Lié dès les débuts à l'Opposition de gauche et à Trotsky, Victor Serge fut de ceux qui demeurèrent fidèles aux idées et aux buts de la révolution d'octobre. Cela ne donne que plus de poids à son témoignage qui se veut aussi un plaidoyer en faveur de l'action du parti bolchevique.

L'an I

Serge montre toute la détermination des anciennes classes exploiteuses à tenter de reconquérir le pouvoir. Au cours de cette année 1918, première de la révolution, elles utilisèrent de façon systématique le mensonge, la calomnie, la ruse. Elles sabotèrent la production industrielle et les transports ferroviaires. Elles bloquèrent les centraux téléphoniques. Elles vidèrent les ministères et les administrations de leurs dossiers. Les capitaux prirent le chemin des banques étrangères. Des officiers, après avoir fait mine de rallier le nouveau pouvoir, désertaient et levaient des armées " blanches ". Les bolcheviks eurent à faire face à tout cela. Serge souligne combien le soutien des masses populaires au nouveau pouvoir soviétique fut décisif. Sans l'élan révolutionnaire sur lequel le Parti Bolchevik s'appuya, jamais il n'aurait pu vaincre. Tous les mensonges et toutes les fables réactionnaires à propos de l'action du Parti Bolchevik, commis par les prétendus historiens actuels, ne peuvent rien contre ce fait. Le récit détaillé et vivant que Serge fait de cette année 1918, des débuts du jeune Etat ouvrier, y répond de façon éclatante.

En 1947, en exil au Mexique, Victor Serge qui avait subi lui aussi la répression stalinienne, écrivit une postface à son livre, postface elle aussi rééditée. Dans celle-ci, mettant en doute les capacités révolutionnaires de la classe ouvrière, il exprimait surtout sa propre démoralisation. Mais cette postface n'ôte rien au récit de cette année 1918, quand les ouvriers et les paysans russes " montaient à l'assaut du ciel " pour secouer le joug de la misère et de l'oppression. Ces pages donnent au livre de Victor Serge toute sa force et font comprendre l'enthousiasme que souleva la révolution russe parmi les opprimés du monde entier.

Alain Valler

L'An I de la révolution russe de Victor Serge, Editions La Découverte, 521 pages, 89 francs.

Partager