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Il y a 10 ans, décembre 1989 en Roumanie : La chute de Ceausescu

Il y a dix ans, en Roumanie, la dictature de Ceausescu était renversée. A l'époque, la presse occidentale présenta la chute du dictateur comme une véritable révolution, menée de bout en bout par des hommes tels que Petre Roman ou Ion Ilescu, liés par mille liens au régime qui s'effondrait. C'était là une façon de participer au blanchiment de toute cette caste d'individus qui avaient largement tiré profit de la dictature de Ceausescu. Tous les puissants de ce monde avaient en fait intérêt à ce que les Roman et autres Ilescu réussissent à confisquer à leur profit le soulèvement populaire qui, en ce mois de décembre 1989, avait commencé en Roumanie.

Le 15 décembre 1989 fut, pour le régime de Ceausescu, le début de la fin. A Timisoara, plusieurs dizaines de milliers de personnes descendirent dans la rue pour empêcher la mutation forcée d'un pasteur défenseur de la minorité hongroise, Lazlo Toekes. Le mouvement s'étendit à toute la population, bien au-delà de cette communauté hongroise. La police politique de Ceausescu, la Sécuritate, et l'armée tirèrent alors sur la foule, faisant plusieurs centaines de morts. Mais ce bain de sang ne vint pas à bout de la détermination des manifestants, bien au contraire. On commença à signaler des cas de fraternisation entre la foule et les soldats, ce qui incita l'état-major à retirer la troupe à l'extérieur de la ville et à entourer celle-ci pour l'isoler du reste du pays. Mais cette manoeuvre elle aussi fut vaine. Non seulement les troubles s'étendirent à d'autres villes de la région, comme Cluj ou Brasov, mais le 21 décembre le meeting convoqué à Bucarest par Ceausescu, de retour d'Iran, pour " riposter contre les hooligans ", se transforma en manifestation d'hostilité à son égard. Dans la capitale même, la population conspua le dictateur, et des affrontements commencèrent avec l'armée et la police.

L'état-major lâche Ceausescu...

De toute façon, à la fin de la décennie quatre-vingt, les jours des mal-nommées Démocraties populaires, dont faisait partie la Roumanie, étaient comptés. Bien des dirigeants de ces pays, à commencer par ceux de Hongrie ou de Pologne, l'avaient compris.

L'arrivée au pouvoir de Gorbatchev en URSS, les désengagements extérieurs que ce dernier opérait, laissaient aux régimes des Démocraties populaires la possibilité de larguer les amarres d'avec l'URSS et de renouer complètement avec l'Occident.

Cette nouvelle situation, certains dirigeants au moins l'avaient comprise, mais manifestement pas Ceausescu. Ce dictateur, qui aimait se faire appeler le " Danube de la pensée " ou le " génie des Carpates ", estimait sans doute que personne en Roumanie ne pouvait l'accuser d'être " l'homme des Russes ". Tout son règne, ainsi que les dernières années du pouvoir de son prédécesseur, Gheorghiu Dej, s'étaient déroulés dans une atmosphère de nationalisme débridé où l'on vantait volontiers les " voies multiples vers le socialisme " et où l'on ne reconnaissait aucun " parti guide ", surtout pas à Moscou.

D'ailleurs, ce nationalisme avait conquis les dirigeants occidentaux. En 1968 par exemple, presque au moment de l'intervention militaire russe en Tchécoslovaquie, de Gaulle ne vint-il pas en visite à Bucarest saluer ce héros de l'indépendance roumaine qu'était à ses yeux Ceausescu ? Un an plus tard ce fut au tour du président américain, Richard Nixon, de faire à son tour le voyage et l'éloge du dictateur roumain.

Mais en cette fin des années quatre-vingt, le nationalisme du régime avait visiblement perdu sa vertu protectrice. Restaient aux yeux de la population la dictature et la misère, pouvant amplement justifier une explosion populaire.

15 décembre 1989 : Le soulèvement de Timisoara

C'est alors que, par crainte de perdre totalement le contrôle de la situation, l'état-major, flanqué d'une brochette d'anciens dignitaires du régime Ceausescu, se décida à sauter le pas et à se débarrasser du vieux dictateur pour sauvegarder l'essentiel de leur pouvoir. Le 22 décembre 1989, un Front de Salut National apparut donc au grand jour, dirigé par Ion Ilescu, ancien secrétaire du Comité central, ancien ministre de la Jeunesse, écarté par Ceausescu. Dans les jours qui suivirent, on vit se jouer une " révolution " de comédie. A la télévision se succédèrent tous ceux qui entendaient confisquer au peuple roumain le bénéfice de sa révolte : Ilescu, mais aussi Manescu, ancien ministre des Affaires étrangères, Petre Roman, fils d'un ancien général. Parmi eux quelques opposants de vieille date, comme Doïna Cornéa, étaient encore admis. On les écarta ensuite rapidement. Et pendant que sur les écrans se jouait cette comédie, c'était dans la rue l'état-major qui prenait l'affaire en mains. Sous prétexte de lutter efficacement contre la Sécuritate, les officiers cantonnèrent la population au rôle de spectateur de ce qui se faisait en son nom, lui demandant de rendre les armes dont elle avait pu s'emparer et évitant soigneusement toute fraternisation entre elle et les soldats de base. Pour parachever le tout, le couple Ceausescu fut rapidement arrêté et exécuté. Cela valut un brevet de " révolutionnaire " à tous ces officiers supérieurs qui avaient mitraillé les révoltes sous Ceausescu, à tous ces dignitaires qui avaient largement profité du pillage des richesses du pays.

Une " manipulation " consentante

Aujourd'hui, en Occident, on parle volontiers de " manipulation " dont auraient été victimes la presse et bon nombre de commentateurs. Mais n'étaient manipulés que ceux que cela arrangeait de l'être, et qui acceptaient de ne pas voir, ou du moins de ne pas dire, ce qui crevait les yeux. La vérité, c'est que cette comédie de révolution jouée à Bucarest, cette confiscation de la révolte populaire par d'anciens privilégiés du régime, arrangeait trop bien les grandes puissances pour qu'elles ne feignent pas d'y croire. Les journalistes gardèrent donc leur langue dans leur poche, réservant leur esprit critique pour les articles et les livres qu'ils écriraient... plus tard.

Et aujourd'hui, si après sept ans de présidence Ilescu a été remplacé à la tête du pays en novembre 1996 par un chrétien-démocrate, Emil Contantinescu, la misère continue comme avant pour les travailleurs roumains. L'inflation est de 45 % par an, les travailleurs des grandes villes industrielles du pays entrent régulièrement en grève pour demander l'arrêt des licenciements et l'augmentation de leurs salaires dérisoires, et les Roumains qui réussissent à quitter le pays constituent un des contingents les plus misérables de l'émigration vers les pays riches.

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